X.1.2.2 Type d'utilisation de l'ordinateur (validation expérimentale d'un comportement théorique)

Dans l'important ouvrage qu'ils consacrent à l'intégration de l'ordinateur dans l'enseignement des sciences physiques au lycée, Beaufils et Richoux (1996) étudient la légitimation de l'utilisation de l'outil informatique par la référence aux "pratiques de laboratoire" du physicien. Ils mettent en évidence qu'au lieu de pratiques "savantes", les démarches mises en oeuvre dans l'enseignement avec l'ordinateur semblent spécifiques à l'enseignement. La relation approfondie entre théorie et expérience est cependant centrale dans ces utilisations. Si nous considérons comme ces auteurs, que dans le "paradigme standard" qui résulte de cette référence, les outils utilisés sont fortement associés à la mesure, alors nous sortons ici quelque peu de ce paradigme.

En effet, simulaSON n'est interfacé à aucun capteur. Il ne donne pas de représentation de mesures effectuées dans le champ expérimental. Il ne donne pas non plus de solution numérique à une équation différentielle que l'utilisateur aurait fournit sans savoir la résoudre. En ce sens, simulaSON est beaucoup plus proche d'un micromonde (qui permet de manipuler ou de mener des actions sur des "objets" virtuels) que d'un logiciel d'acquisition et traitement de données.

Beaufils et Richoux (1996) distinguent trois activités principales menées couramment dans le paradigme standard au sujet de la relation entre modèles et mesures, en s'appuyant sur les pratiques de référence à ce sujet :

  • la modélisation descriptive : activité classique qui consiste à faire des mesures puis, à partir d'une représentation graphique, à trouver une relation quantitative entre les grandeurs mesurées ou entre des grandeurs calculées à partir de celles mesurées ;

  • la modélisation interprétative : il s'agit là à partir des données d'effectuer une "modélisation théorique du système et du phénomène" pour aboutir à des relations entre différentes grandeurs et éventuellement des représentations graphiques. La résolution numérique d'équations différentielles peut par exemple être très utile dans cette stratégie. Les résultats théoriques peuvent alors être comparés aux mesures ;

  • la validation expérimentale d'un comportement théorique : cette activité ne donne pas lieu à des mesures préalables mais utilise la simulation, validée par l'expérience.

Comme simulaSON sort du paradigme standard d'utilisation, il est évidemment difficile de décrire les activités permises par simulaSON grâce à cette typologie. C'est en particulier le cas des deux premières activités qui donnent un rôle majeur à la mesure dans le monde des objets et des événements. Dans notre cas, cette absence de la mesure n'empêche aucunement l'activité de modélisation grâce au logiciel. Il faudra juste veiller à proposer des activités spécifiques de mise en relation entre ce qui est visualisé à l'écran (dont la nature devra être explicitée pour l'élève) et les objets et événements réels. Certaines stratégies d'utilisation de simulaSON ont d'ailleurs quelques points communs avec la troisième activité décrite ci-dessus (la validation expérimentale d'un comportement théorique), qui implique bien l'établissement de liens entre modèle et champ expérimental. Pour Beaufils et Richoux (1996), dans ce type d'activité, l'investigation est d'abord théorique, l'expérience étant à la fois "le retour et le recours". ‘"Le modèle physico-mathématique d'un système une fois établi à partir des équations de la physique peut être mis en fonctionnement par simulation numérique : la manipulation est alors celle du modèle et l'exploration peut mettre en évidence un comportement inattendu qui demandera alors à être confronté à l'expérience"’ (p.13). Il convient cependant de préciser quelques points spécifiques à simulaSON :

  • la simulation est graphique et qualitative (l'essentiel des aspects numériques implémentés est caché pour l'élève) ;

  • le modèle mathématique utilisé et implémenté n'est pas établi en classe par l'élève et n'est même pas explicité. Le modèle qualitatif qui est censé être mis en animation par la simulation est par contre fourni à l'élève ;

  • le retour et le recours vers l'expérience se font d'abord ici au niveau du monde de la simulation (que se passe-t-il avec des entités qui sont gouvernées par ce modèle ?) par l'étude d'expériences simulées. Après ce lien entre théorie et objets virtuels, des liens peuvent être établis, lors d'autres phases, entre ce qui est observé à l'écran et le champ expérimental : ce passage du monde simulé au champ expérimental doit constituer de notre point de vue une activité à part entière.

Ainsi, simulaSON permet de simuler un comportement théorique qui pourra être validé expérimentalement. Les aspects théoriques implémentés (en particulier la forme mathématique générale d'une onde plane progressive sinusoïdale) permettent de visualiser à l'écran un comportement théorique d'un autre ordre mais observable (comportement particulaire par exemple). Ce qui est fait traditionnellement par la mise en équation et l'analyse des dépendances de facteurs (ce qui permet d'élaborer une expérience de validation) est ici fait grâce au logiciel, de façon qualitative. La validation expérimentale reste ensuite à faire à partir de cette instantiation d'un comportement théorique.

Pour donner un exemple concret dans notre cas, nous reprenons l'exemple choisi par Beaufils et Richoux (1996, p.14) pour illustrer ce type d'utilisation. La première ligne du tableau X.1-1 décrit ce processus de "validation expérimentale d'un comportement théorique" dans le cas d'un circuit électrique oscillant. Les lois connues permettent d'élaborer une équation différentielle dont les solutions sont données par simulation. Ces solutions mettent en évidence l'existence d'une valeur critique de la résistance pour observer différents régimes. Ceci permet alors d'élaborer une expérience pour vérifier ce résultat issu de la théorie et de la simulation. La deuxième ligne du tableau décrit le processus analogue pour la propagation acoustique : les lois adaptées permettent d'établir l'équation d'onde, la simulation donne des solutions (de type propagatives harmoniques par exemple), ce qui permet par exemple d'envisager une expérience qui va par exemple permettre de mesurer la longueur d'onde et de vérifier sa relation avec la période. Ce processus ne peut cependant pas être envisagé en seconde (à cause du formalisme en particulier) mais est classique dans l'enseignement supérieur.

Tableau X.1-1: exemples de processus de validation expérimentale et rôle de la simulation graphique
Règles théoriques comportement théorique du système Validation
U=RI, lois électriques pour C et L équation différentielle + simulation numérique (mise en évidence d'une valeur critique pour R) Mise au point d'une expérience
Lois de la mécanique
Conservation de la matière
Équation d'onde
+ simulation numérique
Expérience pour mesurer λ et vérifier λ=vT par ex.
Règles qualitatives d'interaction des particules Simulation par l'image animée Expérience pour mesurer λ et vérifier λ=vT par ex.

La troisième ligne décrit ce qui est fait, du point de vue de l'élève, grâce à la simulation animée proposée par simulaSON. Les règles qualitatives du modèle fourni à l'élève remplace les lois fondamentales de la physique, la simulation par représentation animée remplace la simulation numérique. Il est alors possible d'élaborer une expérience similaire à celle mise au point dans le cas de la simulation numérique, dont l'interprétation et le sens peuvent être différents mais dont les objectifs sont les mêmes.

SimulaSON apparaît donc comme un logiciel de simulations de modèles essentiellement qualitatifs, par animation virtuelle. Nous discuterons plus loin de la nature effective de ce que propose le logiciel (simulation ou simple représentation animée de règles mathématiques ?).