Nécessité et apport de l'analyse phénoménologique

La présence quotidienne des sons dans notre environnement les rend extrêmement familiers, et ceci depuis le plus jeune âge. Il est donc naturel que l'être humain soit capable d'agir de façon spontanée en référence à ce qu'il perçoit auditivement. Il est également normal qu'il fasse fonctionner des interprétations le plus souvent inconscientes, plus ou moins subjectives, de ses perceptions auditives et des phénomènes qu'il y associe.

Puisque la physique se donne pour objectif d'interpréter et de décrire conceptuellement les phénomènes du monde matériel, il est logique qu'elle ait donné naissance très tôt à une discipline, l'acoustique, dont les phénomènes sonores sont l'objet d'étude. Cependant la diversité des phénomènes en jeu, la multiplicité des points de vue possibles pour mieux comprendre tel ou tel aspect des phénomènes sonores font qu'il n'est plus possible de désigner un objet d'étude réservé à la physique mais qu'il faut au contraire reconnaître la diversité des points de vue possibles, qui se concrétise scientifiquement par un éclatement des disciplines concernées par les sons.

Ces deux points, rapport personnel quotidien aux sons et diversité des disciplines scientifiques, posent un double problème à l'enseignement de sciences physiques lorsqu'il se fixe pour objectif l'apprentissage par le débutant des concepts et modèles physiques qui permettent de décrire et d'interpréter les phénomènes sonores :

  • le problème de la compatibilité des savoirs de la physique avec les modes de raisonnements, les réflexes, les sensations que chaque élève a pu construire grâce à son expérience empirique préalable ;

  • le problème de la sélection des phénomènes qui sont étudiés par la physique.

Il est ainsi indispensable de se mettre d'accord sur ce qui constitue les caractéristiques événementielles des phénomènes en jeu. Réfléchir à la phénoménologie qu'il est possible d'avoir du son, à ce que recouvre ce concept au regard des modèles proposés par la physique nous semble constituer un apport fructueux aux recherches sur l'enseignement et l'apprentissage du domaine. Cette approche peut et devrait être étendue à tout domaine de la physique élémentaire qui traite de phénomènes communs sur lesquels les élèves peuvent avoir des points de vue très éloignés de celui de la physique. Les méthodes de recherche mises en place et les résultats qu'elles ont permis d'obtenir semblent valider une telle approche.

Cette analyse phénoménologique a permis de contribuer à la réflexion dans deux directions principales, qui s'influencent mutuellement même si elles ont été évoquées successivement dans ce travail.

Dans un premier temps, l'approche phénoménologique a permis de nouveaux angles d'analyse des savoirs en jeu : savoir savant, savoir à enseigner, voire même parfois savoir enseigné. Nous avons pu ainsi montrer comment la physique à enseigner (en particulier son noyau dur historique) privilégie les phénomènes physiques ayant lieu au niveau de la source matérielle du son et dans le milieu de propagation au détriment de la perception auditive et de son articulation avec les phénomènes physiques. En ce sens, l'acoustique physique accorde une importance capitale aux concepts de la mécanique vibratoire, fréquence et amplitude en particulier. De plus, l'onde sonore devient l'objet d'étude privilégié, parfois au milieu d'autres types d'ondes. Si la physique savante traite de l'onde à l'aide d'un formalisme mathématique adapté et puissant, ceci est cependant le plus souvent impossible pour un enseignement élémentaire. Le savoir à enseigner doit alors trouver des moyens d'observation et de mise en évidence de l'onde et de ses caractéristiques. D'où l'importance dans l'enseignement traditionnel de la vitesse de propagation, de l'illustration que la propagation nécessite un milieu matériel et que celui-ci ne se déplace pas. Pour le mécanisme de propagation, le savoir à enseigner fait le plus souvent appel à des analogies ondulatoires, dont les points communs avec les ondes sonores sont parfois très réduits.

Dans un second temps, l'approche phénoménologique a donné un nouvel éclairage aux méthodologies envisageables pour étudier la phénoménologie "naïve" des élèves, ou pour dire autrement, les systèmes explicatifs qu'ils utilisent lorsqu'ils sont amenés à décrire et/ou interpréter des phénomènes sonores, si possible familiers. Cet éclairage a d'abord mis en évidence que les quelques travaux sur les conceptions, pour utiles qu'ils soient, adoptent le plus souvent le point de vue de la physique en proposant des situations relativement liées au savoir à enseigner, mais surtout en faisant une analyse de ces situations et des réponses des productions des élèves du point de vue de la physique.

Or, favoriser l'apprentissage de la physique, c'est favoriser la construction, l'adoption et l'utilisation d'autres savoirs que ceux construits dans l'expérience quotidienne. C'est pour analyser ces savoirs (aussi bien ceux des élèves que ceux proposés par la physique) et pouvoir les comparer mutuellement que notre approche phénoménologique a été très utile. Nous avons pour ceci reconsidéré un champ empirique qui dépasse le champ expérimental que délimite la physique, nous nous sommes interrogés sur les moyens de perception (pas seulement auditifs) des phénomènes sonores et sur l'interaction entre ces différents canaux sensoriels. Cette approche nous a aussi permis d'analyser les moyens de description et de représentation des phénomènes sonores et des perceptions auditives, ou encore d'étudier la perception de l'influence mutuelle entre matière et sons.

Nous avons alors cherché à étudier les invariants de raisonnement (les schèmes) des élèves sur des situations formulées dans un langage quotidien mettant en jeu des phénomènes sonores simples, et sans sous-estimer a priori l'importance de la perception auditive ou non dans la phénoménologie des élèves. Ces invariants sont des indices des systèmes explicatifs des élèves. Nous avons alors dégagé les traits saillants de ces systèmes explicatifs, leur degré de généralité, les niveaux de savoir mis en jeu, et les aspects du son les plus facilement traités.