Première Partie
Les Personnages et le Monde

Chapitre premier
Le Système des personnages

“Madame Bovary, c’est moi!”
- Flaubert

“Dans mon cas, je dirais que presque tous mes personnages, c’est moi.”
- P.-J. Remy 6

Pour raconter sa “petite comédie humaine”, P.-J. Remy a créé plus de mille personnages, tirés de la réalité et de l’imagination et mis en scène pour parler d’eux-mêmes, de leurs semblables, de leur groupe et du monde. Ses personnages présentent de façon évidente des traits de multiplicité dans une écriture polyphonique.

Parmi ses protagonistes et ses figurants, nous en trouvons beaucoup, inventés ou réels, romanesques ou historiques, aristocrates, bourgeois, libertins, voire peintres, photographes, musiciens, acteurs, metteurs en scène, et même des architectes, des diplomates, des agents d’affaires, ainsi que des écrivains, des poètes, des journalistes, des libraires …

‘“Tous mes personnages, d’une certaine manière ou d’une autre, même les personnages les plus éloignés de moi, transportent certaines de mes inquiétudes, certaines de mes angoisses. Donc, c’est une manière de raconter ma vie.” 7

Comme beaucoup d’écrivains qui se sont volontairement identifiés à leurs personnages: Stendhal à Lamiel, Flaubert à Mme Bovary, Claudel à tous ses personnages 8 , P.-J. Remy charge les personnages ayant des traits positifs ou négatifs de raconter sa vie et celle des autres personnes, réelles ou inventées. Il ne cesse de mettre en évidence son rôle à la fois de “metteur en scène” et de “personnage de roman” (Ch 67). Dans son optique, le monde n’est-il pas toujours considéré comme un théâtre? N’a-t-il pas le vif désir de faire de sa vie un roman?

En réalité, c’est le monde que le romancier et ses personnages veulent embrasser; c’est l’existence et la survie de l’homme qu’ils tentent de raconter et de décrire. Leurs regards se portent sur l’individu, dont le destin se lie toujours à celui du groupe.

Dans le système où notre romancier crée ses personnages et leurs aventures, nous remarquerons qu’il les évoque avec de grands traits ou de petites touches au lieu de les dépeindre minutieusement. Son écriture vise à construire des personnages caractéristiques.

L’auteur met en évidence deux tendances opposées: d’un côté il montre la faiblesse des êtres humains, tandis que de l’autre il souligne leurs efforts pour la survie. Cette antithèse, partout présente dans son oeuvre, touche les aspects de sa technique, exprime ses obsessions, sa vision du monde.

Tout est effectivement mis en jeu. Par le biais de ses personnages masculins, l’auteur déclenche à sa manière les démarches romanesques, fondées sur des expériences individuelles et collectives, imprégnées de jeux mêlés de vérité et d’imagination. Ses thèmes du double et de la ressemblance des personnages ouvrent à l’oeuvre des perspectives vastes.

Notes
6.

cf. Entretien avec P.-J. Remy du 11 janvier 1996, p.444.

7.

cf. Entretien avec P.-J. Remy du 11 janvier 1996, p.445.

8.

Paul Claudel a dit à propos de L’Echange à Mme Marguerite Moreno: “En résumé, c’est moi-même qui suis tous les personnages.” Oeuvres en prose, Gallimard, Pléiade, p.1495.