2. La Femme: une et multiple

“Une ou plusieurs
Avec tous leurs défauts tous leurs mérites
Des femmes.”
- Paul Eluard 43
“Toutes: autant de femmes … les dire ou les évoquer et qu’elles soient pourtant une. Unique …”
- P.-J. Remy (A 95)

Dans l’univers de P.-J. Remy, la multiplicité des femmes se lie toujours avec la femme unique. Nous trouvons facilement le thème du “un-multiple” qui domine dans la création de ses personnages féminins. Là est omniprésente cette confusion de femmes: une et plusieurs, une et toutes.

Nous savons que pour Gérard de Nerval, une femme, quelle qu’elle soit, est un “composé” de toutes 44 . Il en est de même pour P.-J. Remy. Selon lui, une femme porte toujours des traits et des éléments que possèdent d’autres femmes, auxquelles elle ressemble plus ou moins. Ainsi, comme les hommes, les femmes sont également semblables et interchangeables. Les deux exemples suivants peuvent le démontrer:

Dans La Vie d’Adrian Putney, poète, le narrateur-écrivain remarquait la valeur de la clocharde:

‘“au visage clair et aux yeux si pâles, aux cheveux très blonds, à la peau très blanche, [elle] était à la fois poétesse et putain, petite fille malheureuse, grande dame ivre de plaisir” (VAPP 180).’

Sous la plume de l’auteur, cette clocharde n’était plus seulement une femme pauvre, elle était multipliée, représentant tous les genres de femmes.

Dans Des Châteaux en Allemagne, le peintre s’est rendu compte que “toutes ces femmes vertueuses jusque dans la vie d’un bordel avaient, en somme, les mêmes traits” (CEA 307), et que ce qu’il lui faudrait inventer ou, mieux, retrouver était le résumé de toutes les vertus qu’il n’avait pas connues, des grâces qui lui avait échappé (ibid. 308). Ainsi, ce qui était important pour ce peintre, c’était de créer une oeuvre qui rassemblerait tous les traits féminins, que ce soit la beauté ou la laideur, la vertu ou la sexualité, la bienfaisance ou la méchanceté.

L’idée de “une et toutes” ressort de ces deux exemples, à travers lesquels nous remarquons que, pour P.-J. Remy, la femme est surtout un élément destiné à la création imaginaire, sur lequel l’homme peut développer sa création et à partir duquel l’imagination littéraire ou artistique se développe sans limite. De ce fait, presque tous les protagonistes mènent une recherche de femmes en espérant en trouver une idéale. Ce qui est d’ailleurs confirmé par les personnages eux- mêmes. Citons quelques exemples:

Désirant de toute son âme “une éternité” (DJ 129), Don Juan, de femme en femme, cherchait éperdument son “autre”. L’écrivain Etienne qui trouvait que “toutes les femmes se ressemblaient de l’une à l’autre” (CRNA 32) attendra toujours la femme unique (ibid. 28). Pour Jean Chayral, c’est Antonia “qu’il a cherchée depuis tant d’années, à travers tant de femmes” (CI 239). Le narrateur de Salue pour moi le monde a avoué que toute une vie il n’a jamais cherché que ces visages de femmes (cf. SPMM 17). Le père Pierre allait également “de femme en femme pour en trouver une seule” (RV 135). Devant Ava, l’homme de théâtre Bernis a déclaré:

‘“Tu es celle que j’ai cherchée; celle que nous avons tous cherchée sur tous les visages de toutes les femmes que nous avons croisées … sur toutes les peintures que nous avons aimées …” (A 78). ’

Cependant, cette recherche apporte souvent aux héros le désespoir du fait que les femmes se ressemblent et que la femme idéale et éternelle est difficile à trouver. Le vieil écrivain de La Figure dans la pierre a constaté:

‘“je n’ai quitté une femme pour une autre qu’avec la très profonde et très douloureuse certitude que ce serait chaque fois la même déception, la même amère, la même douloureuse découverte” (FDP 148). ’

La femme de Don Juan a dit avec lucidité à son mari qu’il désirait de toute son âme une éternité qu’il redoutait pourtant plus encore (cf. DJ 129). Le diplomate Gunther de Désir d’Europe a dit sur un ton désenchanté:

‘“Mais n’en sommes-nous pas tous là, à chercher désespérément parmi mille femmes la seule que nous savons que nous ne trouvons pas? ” (DEu 45)’

Se confondant avec toutes les autres femmes que les héros ont désirées ou rêvées, Ava devient la femme elle-même. En montrant un sentiment né, vécu et déçu, l’auteur met en fait l’accent sur la recherche perpétuelle.

Ainsi, l’attachement et l’arrachement sont les deux aspects indissociables de l’amour. Qu’elles soient femmes mondaines ou prostituées, amoureuses ou insolentes, vivantes ou mortes, c’est un univers tourbillonnant, sensuel et imagé, absolument fascinant, où P.-J. Remy et tous ses personnages masculins, insatisfaits de femmes qui se ressemblent toutes, cherchent éperdument la femme unique en passant par toutes les autres malgré leur déception.

Pourquoi tiennent-ils à mener une telle recherche? Notre romancier a probablement l’intention de montrer, à travers ses personnages, que l’homme a besoin de cette recherche pour survivre et que la femme idéalisée est porteuse de sens pour l’existence de l’homme. Selon lui, ce qui compte pour l’homme, c’est la mécanique des femmes. Il ne s’agit pas de possession de la femme, mais plutôt d’une découverte inspirée de ce que peut véhiculer l’homme. La femme unique ou éternelle que cherchent tous ses personnages n’existe que dans la création artistique et littéraire. Ainsi, ses personnages qui ne sont jamais satisfaits de leur existence et qui n’atteignent jamais leur but ultime poursuivent sans relâche cette recherche. Finalement, il n’y a pas que la femme dans la vie, mais c’est bien elle qui mène le monde masculin de P.-J. Remy.

Les personnages féminins de notre écrivain peuvent être classés en plusieurs catégories. Son oeuvre étant à la fois vaste et abondante, nous avons choisi seulement trois catégories: femme inspiratrice, femme créatrice, femme diabolique. Nous allons analyser leur figure représentative et le rôle qu’elles jouent dans l’univers romanesque de l’auteur.

Notes
43.

Paul Eluard, La Vie immédiate, Oeuvres complètes, tome 1, p.398.

44.

Gérard de Nerval, Aurélia, Minard, 1965, p.30.