1.1. Le Milieu aristocratique

Sous la plume de notre écrivain, tout ce qui caractérise l’aristocratie est emprunté à la tradition de ce milieu. Nous voyons, par exemple, des châteaux et des palais somptueux ou sombres avec un décor classique: tableaux, sculptures, objets d’art, bibliothèques remplies de livres en reliure, etc. A l’exception des aristocrates d’Une Ville immortelle qui sont fantastiques, le milieu aristocratique est dépeint soit en déclin, soit en déviation, soit en révolution. Citons quelques exemples:

Le milieu aristocratique parisien dans lequel Don Juan a pénétré représente une société pleine de conflits, de désordres, d’adultères, enfin, un monde sombre dans lequel on ne trouvait ni l’amour ni le bonheur. On s’amusait, on passait du temps dans les salons ou au théâtre, on buvait, on bavardait et on ne faisait rien. Ce mode de vie est tellement dépourvu de sens que Don Juan qui tentait de chercher la passion a quitté Paris, complètement déçu. Son départ pourrait également signifier qu’il voulait échapper à ce milieu.

Chez P.-J. Remy, certains aristocrates ont même commis des crimes. Dans Chine, Sir Aron a assassiné la petite Emilie. Dans Une Ville immortelle, les femmes aristocrates étaient des vampires. Les meurtres qu’elles ont commis se sont succédé sans cesse. L’apparence de ces nobles et le masque qu’ils portent sont dénoncés dans l’oeuvre.

Nous remarquons que les personnages aristocratiques vivent dans la solitude ou l’abandon et que leur vie n’est pas heureuse. Par exemple, dans Le Rose et le Blanc, le marquis des Rouqueyres vit seul dans son vaste domaine. Il en est de même pour le père de Marion et de Cyril dans Désir d’Europe. Ce vieil aristocrate, paralysé dans sa chaise roulante, s’enferme tous les jours dans sa grande maison, comme un être oublié. Salvi qui vit tout seul dans un palais en souvenir des morts a choisi “une fois pour toutes de vivre de l’autre côté du miroir” puisqu’il trouve que le reste est “trop laid” (T 256). Quant à la comtesse Antonia d’Aria di Roma, pourtant propriétaire d’un grand palais, elle mène une vie mélancolique: d’abord abandonnée par son amant, ambassadeur de France à Rome, dont elle a eu sa fille Diane; ensuite délaissée par le gardien du palais en raison de son âge. L’ironie de l’auteur sur cette femme est assez cruelle. En apparence, elle est puissante, mais faible en réalité, victime des hommes. Dans De la Photographie considérée comme un assassinat, une autre vieille aristocrate anglaise qui est ennuyée de la vie solitaire apprécie le jeune écrivain français Rissner pour ses points de vue esthétique et son humour. Elle lui léguera son bel appartement.

En fait, les vieilles aristocrates ne font que des apparitions très courtes et n’occupent pas beaucoup d’espace dans le champ textuel de notre romancier. Comment leurs descendants se présentent-ils? Ils semblent avoir des caractères révoltés ou pessimistes. Prenons des exemples:

Le jeune aristocrate Xavier du Rose et le Blanc ne représente plus son origine puisqu’il faisait partie du groupe secret qui voulait pratiquer et réaliser les idées de Rousseau. Il tentait de fonder avec d’autres membres une société idéale où tous les hommes seraient égaux. Son projet et ses actes attaquaient la société dans laquelle l’aristocratie s’efforçait de garder son pouvoir et son prestige. Non seulement Xavier approuvait les thèses de Rousseau, mais aussi son père, marquis des Rouqueyres les soutenait. Le siège de ce groupe se trouvait dans la demeure que le marquis possédait. C’est le comble de l’ironie! Par laquelle l’auteur souligne clairement le caractère révolté de ces aristocrates et le déclin de leur classe.

Dans Désir d’Europe,bien quele peintreCyril soit un descendant aristocrate, il ne représente pas non plus sa classe. Amoureux de sa soeur Marion, il poursuivait un amour à la fois pur et incestueux. Plongé volontairement dans la souffrance, il cherchait à se détruire. Le romancier nous donne en fait un portrait de la nouvelle génération des aristocrates qui a du mal à suivre l’évolution sociale et à sortir de soi-même.