1.3. Le Milieu artistique

C’est un milieu composé de peintres, de photographes, de sculpteurs, etc. Tous les artistes, passionnés d’art, tentent de créer davantage. Plusieurs romans évoquent le parcours de leur création et de leur réflexion.

L’artiste en quête d’une beauté unique aperçoit en fait une figure “multi-image”. Par exemple, la vertu, la beauté absolue et la perfection totale figurent sur le visage d’une jeune fille qui est celui de tant d’autres, et qui représente en fin de compte celui de la mort (cf. CEA 312). Comme la femme, l’art possède aussi deux faces: la beauté, toujours liée à la laideur ou à la mort. Chez P.-J. Remy, les artistes connaissent tous cette dualité de l’art à travers leur échec ou leur réflexion.

L’épisode où le peintre Binet est plongé dans son délire retient notre attention. Parce qu’il voit “à la fois le bien et le mal, la laideur et la beauté, la tristesse et la joie”, avant il “ n’ [a] jamais tenté de peindre que le bien, la beauté et la joie.” (CEA 288) De ce fait, le monde ne se représente pas que par une face, mais par deux, et notre vision sur l’art ou la littérature doit alors être également divisée en deux. C’est pourquoi le narrateur-peintre qui séjournait à Rome a dit avec lucidité: “Toute ma vie j’ai balancé entre deux mondes, deux visions de l’art ou de la littérature.” (ADR 318) Lorsque l’artiste ne se rend pas compte des deux faces de l’art il subit fatalement l’échec de son ambition.

Ainsi, il est nécessaire d’avoir une vision totale. Dans l’univers de notre auteur, comme les écrivains, les artistes expriment tous l’idée de la totalité. Par exemple, le peintre Binet rêvait de

‘“peindre l’univers entier en une seule toile, de tout dire, tout raconter, et la vie, et la mort, et les quatre parties du monde, et toutes ces femmes, en une seule composition et sur un seul mur ou un seul plafond.” (CEA 297)’

Chercher l’idée et le plan auprès d’un autre devient une quête primordiale pour le créateur. Qu’il soit un poète, un écrivain, un artiste ou un architecte, il se considère comme constructeur ou compositeur et a besoin d’inspiration. En fait, l’inspiration de l’un par l’autre assure la création, sans l’un, l’autre ne peut plus créer. Le personnage Berger a conclu:

‘“Mais vous savez bien que nous sommes l’un et l’autre semblables: l’idée compte, le plan … La mise en oeuvre ensuite, la construction, l’écriture, n’est plus qu’une formalité. Ce que j’attends de vous, c’est l’idée, le plan.” (FDP 56)’

Le passage où le narrateur-peintre “a chopé la trouille” de l’écrivain Karl est porteur de sens. L’auteur a probablement tenté de mettre en évidence l’alliance des images verbales et formelles, ainsi que la voie de la création. Comme Karl, le peintre transpirait lorsqu’il s’est mis à peindre. Pourtant il était convaincu que “la toile que [il] a commencée ce jour-là était meilleure que celle achevée la veille, que les précédentes” (ADR 428). Ce que Karl lui a inoculé, c’est le doute ou l’invitation à la réflexion.

Le doute nécessite en effet une réflexion sur la manière de créer. Si ce peintre ne trouvait pas sa méthode, il deviendra “un artiste qui ressemblerait à tous les autres!” (ADR 430). D’où l’importance de trouver sa propre manière pour peindre ou écrire. L’auteur a chargé le personnage-écrivain Spazzi de guider la recherche de ce narrateur- peintre: “tu viens d’apercevoir la voie qui, de toute éternité, était marquée pour être la tienne!” (ADR 388). Cela nous amène alors à une quête de l’artiste à la recherche de son essence, de sa propre manière de créer.

On remarque ainsi l’aspiration de P.-J. Remy à créer avec des images formelles ce que l’écrivain fait avec des mots. Le personnage- écrivain Karl a dit avec lucidité:

‘“La mémoire de l’artiste est composée de milliers de fragments épars […] lui seul peut organiser, selon un dessein qui dépasse cette mémoire, pour en arriver à l’abolir. Reste l’oeuvre, et elle seule”. Et: “le doute, voilà ce qui leur manque à tous. La poésie comme la peinture, la sculpture, tout ce que vous voulez, c’est un doigt, un geste, un soupçon de doute!” (ADR 157 et 426)’

C’est pourquoi les personnages de P.-J. Remy veulent tous suivre une voie de création à la fois artistique et littéraire. Par exemple, Binet souhaite devenir un homme de culture universelle, qui s’entende aussi bien à la littérature et à la musique qu’à la fresque et au chevalet; la poétesse Michèle qui approche la démarche du peintre écrit des poèmes à partir d’une douzaine de tableaux; le sculpteur de Milan écrit le livre sur le séjour à Rome …

La recherche consiste en réalité à percer la surface, à pénétrer la profondeur et percevoir l’intériorité. Comme les personnages-écrivains, tous les peintres de P.-J. Remy sont frappés par l’impuissance à créer. Rappelons les cas suivants: Berlin est “impuissant” (SPE 430) pour peindre; Binet se sent impuissant face au plafond nu et blanc de la galerie (cf. CEA 97); le “narrateur-peintre” est incapable de réaliser son chef-d’oeuvre (ADR) … L’auteur montre l’effet de l’improductivité et de la passivité. Cet effet est notamment “l’un des étranges effets de l’aria di Roma” (NDF 250), à savoir la stérilité et l’inactivité de tous les personnages chargés de créer (cf. ADR 289 - 290).

Comme le diplomate Gérard et le narrateur de Qui trop embrasse, le peintre Cyril fait partie des héros qui cherchent la chute en se détruisant. Pourquoi veulent-ils connaître cette chute? Le regret du temps passé en est la cause. C’est aussi la conséquence de leur solitude et de leur impuissance.

Dans l’oeuvre, tous les artistes cherchent éperdument à atteindre l’idéal qui est toujours hors de portée. Même s’ils possèdent l’ambition, ils n’arrivent pas à atteindre la perfection. D’où leur prise de conscience et leur point de vue réaliste. Selon notre romancier, la capacité de l’homme est limitée malgré ses efforts. C’est pourquoi il y a tant d’échecs et de déceptions subis par ses personnages. Le fait que Binet a brisé ses pinceaux (cf. CEA 312) et que Cyril s’est suicidé (cf. DEu) montre cette conséquence.

Binet souffrait de la “folie à vouloir en faire toujours davantage” (CEA 11), et peindre “pour sauver ce qu’il pouvait sauver de son âme”, puisque “peindre était sa vie” (CEA 21 et 22). Il en est de même pour les autres artistes de P.-J. Remy. En conséquence, il est clair que les artistes qui vivent dans l’art continuent leur création malgré leur angoisse, leur échec.

L’auteur met en jeu leur cheminement: c’est en suivant le chemin de l’imagination qu’on pourrait trouver la véritable beauté et la forme tangible de la vérité qu’ils cherchent sans relâche. Le jeu du réel et de l’imaginaire se trouve également dans la représentation théâtrale.