2.1. Le Monde fantastique

Le monde fantastique présenté par notre romancier est lié à l’art, à la musique et à la femme, toujours considérés comme sources de création fantastique. Citons des exemples:

Dans Des Châteaux en Allemagne, le peintre Binet a découvert sur la fresque la tête sauvage de la jeune fille, dont le visage est finalement devenu celui d’une morte. Dans Une Ville immortelle, les femmes de la Ville N sont des vampires. Dans Aria di Roma, que ce soient la bague gravée de Méduse, le musée souterrain ou le bosquet, ils portent tous le signe de la mort. Dans Pandora, toutes les actrices qui jouent la pièce de “Pandora” sont frappées par la malédiction. L’opéra maudit entraîne la disparition ou la mort des jeunes chanteuses. L’homme en noir ayant le corps du compositeur Carl et le visage de l’actrice Anna se charge de représenter une créature fantastique.

A travers ces romans, nous nous rendons compte que le monde fantastique de P.-J. Remy est en fait un monde créé pour montrer à la fois la passion artistique et musicale, la réflexion sur l’art.

Un des traits de ce monde fantastique est probablement de mettre les hommes dans un état d’impuissance, à savoir qu’ils perdent tous leur virilité, leur énergie et leur capacité de créer face au charme de la beauté, de la lumière ou de la musique. “Trop de beauté tue … trop de lumière” (NDF 250). Qu’ils soient aristocrate, diplomate, écrivain, peintre, musicien …, tous les hommes tombent dans le piège et deviennent impuissants à créer. Rappelons-nous les exemples suivants:

Les hommes de la ville N, devenus “très vite des vieillards” (VI 152), “ vivent hors du monde” (VI 251), dans un “décor fantastique” (VI 104), où le consul Julien échoue; les exilés occidentaux se sentent inactifs à Pékin, où le héros Guillaume “ne lit plus, ne joue plus” (SPE 111); tous les pensionnaires talentueux sont incapables de créer à Rome (ADR); l’écrivain Bruno n’écrit plus lorsqu’il se trouve à Ferrare (cf. NDF 250); le compositeur Carl est vaincu par la musique fantastique (P)...

Dans un tel monde fantastique, même la femme ne peut plus sauver l’homme malgré la fascination qu’elle exerce sur lui: c’est pourquoi “l’excitation que provoquaient les visites de Norma ne durait pas jusqu’au matin” (ADR 201). Le talisman perdant ses pouvoirs, l’homme est condamné à s’affaiblir et à se heurter à l’échec. Le romancier présente d’une façon évidente un monde fantastique où l’homme reste prisonnier de son destin.

Chez P.-J. Remy, le monde fantastique est toujours imprégnée de “la violence qui couvait derrière la beauté” (VI 252). La belle musique “Pandora” a causé la mort de plusieurs actrices (P); la comtesse Beker et d’autres femmes nobles sont des vampires (VI); les femmes charmantes symbolisées par les déesses telles que Vénus ou Diane sont vaniteuses et cruelles (VI); la ville N, comme Pékin ou Rome, est hostile ou meurtrière.

Le monde fantastique de notre auteur est en fait un univers clos, où se produisent toutes les actions, même les plus horribles. La ville où règnent les femmes fantastiques est une société fermée. Ces femmes n’acceptent que celui qui fait partie de leur cercle. Les hommes n’existent que comme raison sociale, comme accessoire imposé par la société.

Le monde fantastique étant incarné par l’art, la musique, la beauté, l’auteur et ses personnages tentent de saisir le signe de l’infinie du possible, celui de l’immortalité ou de l’éternité. L’art, la musique ou la beauté, une fois associés à la vie, donnent une vision ambiguë. Bien que le fantastique s’oppose à la fixité du réel, tout retombe finalement dans la réalité. Le retour à celle-ci permet à l’homme de prendre conscience, de connaître le double visage de ce qui est fascinant. La beauté n’est qu’une dangereuse image. Selon notre auteur, créer un monde fantastique, c’est montrer le reflet de la réalité. C’est pourquoi, du fantastique à la réalité, on est effrayé par la violence et le meurtre: “c’est une jeunesse sans âme qui avait eu raison du climat éternel de la ville” (NDF 205).

Dans ce monde, l’art ou la musique peut déconstruire le texte en montrant que les rôles sont interchangeables. L’écriture vise à faire de l’art ou de la musique une oeuvre fantastique. La persistance du retour est fantastique. La nostalgie de la plénitude, de l’intégralité et de l’éternité inaccessible accentue encore le mythe.