3.2. Le masque de l’Inconnue de la Seine

Dans l’oeuvre de P.-J. Remy, il y a de nombreuses références au masque de l’Inconnue de la Seine. D’une part, ce masque fait penser à Aragon et aux références littéraires, d’autre part, il se lie également à la création imaginaire. Par le héros des Enfants du parc, livre dédié à Aragon, notre romancier a dit:

‘“L’Inconnue de la Seine qui me suit à travers le monde, comme un regard rempli de toutes les tendresses que je n’ai jamais rencontrées” (EP 50).’

Ce masque poursuit du regard le cheminement de notre auteur et de ses personnages. Il leur donne des références littéraires en les guidant sur la voie d’écriture.

Il en est de même pour l’héroïne Annette. Une fois tombée amoureuse du “beau visage lisse, des cheveux en bandeaux et du sourire” (cf. AEF 182, 252, 292) de ce fameux masque, elle ne cesse de lire et d’espérer écrire elle aussi. Annette deviendra finalement une femme-écrivain. Par ce masque, l’auteur prédit la vocation de ce personnage.

Même exilé en Chine, Guillaume garde toujours en mémoire le masque souriant de l’Inconnue de la Seine (cf. Ch 197). C’est probablement une autre référence au “Monde réel”, dans lequel le héros mène ses aventures en espérant écrire un nouveau livre avec ses expériences et celles des autres.

Dès le début d’Aria di Roma, le narrateur-peintre trouve que l’Inconnue de la Seine est belle et qu’il veut “lui imaginer un corps” (ADR 20). Ce corps est une fois de plus lié au plaisir, à l’imagination, à la création littéraire et artistique. Le roman né plus tard symbolise bien “ce corps” imaginé. L’auteur montre, par le biais de ce masque, l’alliance entre l’art et la littérature.

Lorsqu’Ava dort, son visage ressemble beaucoup à l’Inconnue de la Seine (cf. A 154). Ava, femme idéale et égérie de tous les créateurs est parfaitement associée à ce masque, symbole de la source des créations littéraires et artistiques.

Dans l’oeuvre, le masque peut disparaître provisoirement pour être remplacé par l’écriture lorsque celle-ci est prête à voir le jour. Rappelons-nous cet épisode dans La Figure dans la pierre:

Le masque de plâtre sur lequel “flottait le sourire de l’Inconnue de la Seine” (FDP 236) a disparu dans le cabinet “attenant à la chambre de David où l’écrivain achevait les dernières pages de son livre” (ibid. 250). Ayant eu des difficultés pour écrire, cet écrivain était impuissant, dépourvu d’imagination. Il est finalement arrivé à retrouver l’énergie pour écrire. Il s’agit de l’inspiration due à ce masque, à d’autres formes et à d’autres figures féminines. Ainsi, son nouveau roman est le résultat fructueux d’un travail inspiré d’autres éléments déjà créés: masque, statue, architecture. Ici, on retrouve l’idée d’associer les formes et les arts, sur laquelle l’auteur met l’accent. Selon lui, la littérature doit se lier à d’autres arts et s’en inspirer.

Dans beaucoup de cas semblables, l’Inconnue de la Seine est considérée comme “le pardon, la souffrance assumée, la rédemption” (MA 55). Sans ce masque, on se trouve toujours dans une impasse. Par exemple, dans Chine, la jeune fille Lauraine qui a été blessée par une bombe reste dans le désespoir. Elle est “enfermée dans son silence comme morte” (Ch 497) tandis que le sourire de l’Inconnue de la Seine est vivant. L’auteur souligne ici la souffrance humaine en condamnant la violence. L’âme morte de cette jeune fille s’oppose évidemment à l’objet qui symbolise la vie. Malheureusement, Lauraine qui a des blessures aux yeux ne peut pas apercevoir le sourire du masque. Donc, elle n’obtiendra pas sa rédemption et finira par le suicide.

Voyons maintenant le cas de Guillaume, héros de Chine. Dès que le masque de l’Inconnue de la Seine qu’il avait apporté à Pékin a été cassé, il devient de plus en plus malchanceux. Le masque abîmé est le signe de l’échec de son séjours en Chine. Il prédit également le départ de ce héros. Celui-ci, dépourvu du masque, perd toute sa capacité et ne peut plus rester en Chine.

Le cas de Patrick est également significatif dans Midi ou l’attentat, où ce personnage a volontairement cassé le masque de l’Inconnue de la Seine. Ainsi, “le sourire est mort, comme est mort le calme, comme sont morts la patience et la joie et l’espoir” (MA 73). La destruction de ce masque signifie l’abandon de la paix. C’est pourquoi Patrick s’engage activement dans la violence et l’attentat.

Ces nombreux exemples nous démontrent clairement que P.-J. Remy nous présente un masque à valeur emblématique, masque constamment lié à la création et au monde réel et irréel: en symbiose avec le destin des personnages.