Troisième Partie
Le Temps, l’Espace et l’Ecriture

Chapitre sixième
L’Eternel Retour dans le temps et dans l’espace

“Je croise les mots et les mémoires et je voyage ainsi en un réseau serré de signes, de repères, d’images.”
- P.-J. Remy 169
“Puisque ma vie, depuis longtemps, est d’abord faite de retour.”
- P.-J. Remy 170

P.-J. Remy présente un univers romanesque de grande ampleur à travers ses livres, dont la plupart portent la marque de l’époque et du lieu où il a vécu. Son intention est sans doute d’évoquer les aventures humaines, dont il multiplie les amorces pour montrer un foisonnement de vies éparpillées. Ainsi, ses personnages sont profondément marqués par le temps et l’espace.

On sait que l’univers de Proust est constitué d’une série d’images qui peuvent réapparaître toutes ensemble, simultanément du fait que dans la mémoire tout se situe sur le même plan. Il en va de même pour l’oeuvre de P.-J. Remy qui nous fait parcourir sans cesse le temps et l’espace. Par exemple, l’expérience chinoise se concentre sur plusieurs générations, et l’espace s’étend à travers divers pays. La mémoire détruit le temps linéaire pour reconstruire un autre temps: la simultanéité des instants vécus et l’intemporel. Le passé devient le sentiment présent de la mémoire, et la durée est marquée par la discontinuité d’instants superposables. On se déplace en avant, en arrière, même sans transition. Par le jeu spatial et temporel, l’auteur cherche à manifester une grande liberté dans l’évocation des récits romanesques.

Le romancier demeure particulièrement sensible au temps passé et à l’espace. Le retour devient un letmotiv omniprésent dans son oeuvre. Ainsi, les souvenirs de la Nouvelle-Angleterre sont toujours liés au cimetière rouge, ceux de la clocharde à Londres, ceux de la ville de beauté à Florence et à Rome, ceux de l’exil à la Chine … L’intérêt pour le passé et l’espace est certainement l’une des clés de son écriture, par laquelle son univers qui possède des traits de foisonnement et de renouvellement s’étend sans arrêt. La possession d’un temps mémorisé ou d’un espace retrouvé est inséparable d’une poursuite vers la multiplicité des temps et des espaces.

Ses personnages éprouvent tous le besoin de l’exil et de la fuite en avant. Leur voyage s’effectue d’une manière significative et s’achemine vers la prise de conscience sur le monde et sur eux-mêmes. L’espace choisi comme lieu de rencontres et d’aventures est culturel et historique dans la plupart des cas. Nous remarquons d’une part la passion culturelle et historique de l’auteur, d’autre part, ses riches expériences vécues.

Les lieux sont considérés comme l’espace d’une conversion par laquelle l’homme prend conscience. Ils portent tous une signification profonde d’autant plus que leur fascination réussit à déjouer l’ambition et la vanité de l’homme. Il nous semble que les personnages y viennent tous pour échouer. Le charme de ces lieux est-il vraiment trop grand pour que l’homme puisse le maîtriser? Ou l’hostilité de ces lieux l’empêche-t-elle d’y pénétrer?

Notes
169.

P.-J. Remy, Préface dans Voyage de Jean-Paul Caracalla, Olivier Orban, 1981, p.13.

170.

P.-J. Remy, Bastille: rêver un opéra, Plon, 1989, p.73.