- Roman à dialogue

Le dialogue étant toujours situé dans le temps et dans l’espace, l’auteur laisse le temps s’écouler en paroles pour révéler une confrontation des personnages, soit face à face, soit à distance: par exemple, entre l’écrivain Chayral et l’homme de lettres M. Liu (MS), entre l’architecte Donne et l’écrivain Berger (FDP), entre le comédien anglais Peter et l’écrivain français Jean (CI). Si l’auteur présente un récit fragmenté par le dialogue et le souvenir, c’est qu’il veut rendre ses personnages sensibles au temps et à l’écriture.

Selon lui, créer la sensibilité à l’écoulement du temps, c’est intégrer le sentiment à une action. C’est le cas d’Une Mort sale, dominé par une structure dialogique. M. Liu et Chayral font une partie de go dans un hôtel de Hong Kong en entamant une conversation systématiquement interrompue par des souvenirs. Le jeu des deux partenaires représente le mouvement des pions, le déplacement des souvenirs, le va-et-vient entre le passé et le présent. Evidemment, le jeu de go nécessite, pour le combat ou le défi, une maîtrise technique: réflexion, combinaison et possibilités tactiques. Il renvoie textuellement et métaphoriquement à l’écriture.

A travers le dialogue, les deux héros évoquent leur vie et montrent leur conscience du passé. Les deux joueurs ne bougent pas, mais le temps passe, leurs dialogues continuent, les parties de jeu avancent, et l’acte de l’écriture se réalise. Par le biais de l’écoulement des paroles et de celui du temps symbolisé par l’eau du robinet, la mer, la pluie et le déluge, l’auteur souligne que le temps est insaisissable et qu’il file toujours. Ainsi, l’immobilité apparente du texte s’oppose à la fuite du temps.

Relisons quelques phrases échangées entre les deux héros:

Le sujet de la conversation de ces deux personnages concerne en fait leur vie et leur expérience de l’écriture. Avec le temps qui passe, l’impuissance physique et créatrice s’installe et les menace. L’auteur renvoie la tentation américaine par la guerre déclenchée au Vietnam à celle de Chayral, en mal d’écriture, qui voulait pourtant tenter sa chance.

Dans le texte, les phrases non verbales, interrompues, inachevées, fragmentaires et des points de suspension ou des blancs entre séquences expriment leurs souvenirs, leur impuissance ou leur silence. On est toujours ramené au présent par la phrase: “A vous de jouer.” (MS 31, 38, 41) Est-ce vraiment un signe du présent ou une invitation à “jouer”? La fusion phonique des mots tels que “port”, “mer”, “amer”, “mort” et celle des vocables “vaste”, “avides”, “vide”, “avenir” crée un continuum sonore à vocation unifiante.

Non seulement les voix de ces deux héros s’entremêlent, mais aussi celle du personnage créé par Chayral se joint aux leurs. Ainsi, par le biais de la voix, l’auteur évoque une fois de plus la dualité des êtres humains et leur destin commun.