- La structure épistolaire

Comédies italiennes présente une structure épistolaire, complétée par une dualité d’intrigues et de temps. C’est un texte où la comédie se réfléchit, et où elle se met elle-même en scène. Il est composé d’un discours double par les lettres échangées entre les deux protagonistes: l’écrivain Jean et le comédien Peter. L’intrigue double évoque un voyage effectué par Jean en Italie et une pièce inventée par Peter. Le traitement du temps se traduit par une confrontation double entre le présent et le passé. Le présent qui s’oppose au passé est négatif: solitude, maladie, impuissance, vieillesse, tandis que le passé est florissant: jeunesse, énergie, amour, réussite théâtrale et littéraire. Les deux personnages représentent le narrateur-auteur qui dévoilera le mensonge en concluant le récit.

Par la structure épistolaire, le romancier donne un jeu de l’écriture en mêlant le réel et l’imaginaire. Il crée les deux héros de manière à impliquer des idées sur la vérité et le mensonge. La structure épistolaire favorise l’évocation du mensonge littéraire ou de l’invention littéraire. Tout au long du récit, on croit ce que racontent les deux personnages dans leurs lettres. C’est seulement à la fin qu’on sait la vérité. Le romancier fait mentir ses deux héros en montrant comment le mensonge a une double fin: silence et livre. Après la levée du masque, il ne reste plus rien sauf le livre écrit. On se demande si l’art des comédiens n’est pas un art de mentir. L’essentiel pour notre auteur, c’est de créer le paradoxe de ses deux comédiens: mentir pour faire éclater la vérité et démasquer le jeu.

Ce procédé de la comédie dans la comédie donne une représentation de l’apparence qui trompe la réalité. Les passages du réel aux illusions et aux mensonges sont particulièrement mis en évidence par les ruptures entre l’écriture des deux héros et la sèche description de la vie quotidienne (cf. CI 75). Le récit aboutit à la reprise de roman (cf. CI 440) puisque toutes les lettres font partie d’un roman. C’est probablement une tentative littéraire, un jeu proposé pour le héros-écrivain qui, en mal d’écriture, cherche une issue. Le voyage inventé et le souvenir italien lui ont fourni des éléments littéraires.

Dans Un Voyage d’hiver, le romancier utilise une structure épistolaire particulière en adoptant un mode de présentation éloigné de sa démarche habituelle: un seul héros, focalisé sur une vision intériorisée. Pourtant son univers intérieur est peuplé de souvenirs. Le “Je-narrateur” revient dans son village natal pour écrire une thèse sur Hölderlin. Influencé par celui-ci, il écrit tous les jours une lettre à “tu”, sa maîtresse qui habite à Vienne. L’amour que Hölderlin avait pour son amante s’est exprimé dans ses poèmes, par exemple:

Le “tu” du poète se conjugue avec le “tu” de notre romancier ou celui du narrateur. Le poème devient la lettre envoyée par le héros à son amante. Les thèmes tels que la solitude, la fuite du temps, l’amour, la lumière, la jeunesse se retrouvent dans le récit épistolaire. De l’hiver au printemps, la recherche de la jeunesse aboutit à rejoindre la maîtresse.

L’auteur joue également sur le dédoublement des voix: le “je” dialoguant avec “tu” ou “elle” qui ne sont que des projections de lui-même. Le texte commence par “je”, et les nouveaux sujets intervenus englobent tout le monde dans la généralité. En fait, “je + tu = nous” et “nous = tous”, le jeu de formules montre que la recherche du bonheur concerne tout le monde.

Dans Le Sac du Palais d’Eté, l’auteur cite en extraits des lettres fictives de Segalen. La citation de ces lettres donne un effet de “mentir vrai”. Segalen devient donc un personnage à la fois réel et imaginaire. Le rapprochement acquiert une cohérence par le fait que les personnages rencontrent dans l’intertexte.

L’enjeu de la structure épistolaire chez P.-J. Remy, c’est que la lettre devient le vrai héros ou le seul moteur qui fait avancer le récit. De même que les mots font toute l’épaisseur des personnages, on crée soi-même pour ainsi dire un texte. Si celui-ci est écrit, on dirait que c’est de notre “mensonge”. Ainsi, on devient maître de ses mots, de son invention 212 .

Notes
212.

Cette idée de l’invention littéraire, on la retrouve dans Ava, Pandora, etc. dont le récit finit par démasquer l’héroïne: c’est une invention romanesque.