- L’autobiographie

En mettant ses héros, d’entrée de jeu, au premier plan, l’auteur atteint un de ses objectifs qui est de “montrer”. Pour donner à voir, il a besoin de voir lui-même. Sa source d’inspiration première se trouve donc dans sa propre vie. Pour planter des décors, brosser des portraits, il s’inspire des sites qu’il a visités ou des personnes qu’il a rencontrées.

L’Autre éducation sentimentale se présente comme un récit autobiographique, dans lequel le narrateur raconte sa vie et les livres qu’il a écrits. Les frontières entre la réalité et la fiction sont floues puisque la vie du romancier est mêlée à celle du héros. De l’écriture d’un vécu au vécu d’une écriture, c’est de la source de la vie vécue que l’écriture prend son pouvoir: “Accumuler les mots tout nus d’une langue à moi” (ADR 116). Les éléments autobiographiques qui nouent la relation particulière entre l’instance narrative et les personnages sont destinés à identifier les personnages au romancier.

Le texte se découpe en effet en une succession d’aventures, interrompues par la fuite en avant, et en une série de récits, insérés au rythme des personnages rencontrés. La structure est libre, et le hasard facilite l’écriture et répond à la question sur le sens ou le non-sens de la vie. L’enjeu de l’autobiographie réside donc dans le revécu du passé par l’écriture.

A l’issue de ces quelques exemples de structure et de forme, ajoutons la révélation du romancier lui-même sur son procédé d’écriture:

‘“Pour écrire un livre, je prends d’abord des notes: autant de visions fugitives, d’aperçus, d’éclaboussures, d’instantanés rapides dont l’ensemble demeure confus, malhabile: ces balbutiements. Je trace ensuite une ligne que j’imagine idéale entre ces différents repères, je les classe - séries - je les lie - séquences - et je tisse une toile serrée qui servira de support au récit.” (A 145)’

Le mécanisme et la technique romanesques témoignent d’un instinct fondamental de la mise en oeuvre ou en scène, adaptée aux intentions de l’auteur et impliquant une approche et une fonction originales des personnages sur la scène. On a parfois une succession de phrases, considérée comme une séquence composée d’une série de plans, soigneusement contrastés, qui produisent pourtant un mouvement d’ensemble.

Le récit que l’auteur découpe, retranche ou focalise, transmet une représentation, notamment sur les deux faces de l’homme. La plénitude et la dérision se révèlent l’une par l’autre. C’est un privilège du texte de pouvoir superposer ainsi deux points de vue opposés.

Tout en analysant ses personnages, Balzac a accumulé dans ses nombreux ouvrages différentes visions extérieures. Ainsi, il a pu créer sa “Comédie humaine”, nettement marquée par une diversité romanesque. Proust a rassemblé ses personnages sur une même scène par un phénomène caractéristique de l’évolution sociale, et par un thème de la “composition” littéraire.

En brassant tous les éléments dans son oeuvre, P.-J. Remy tente de nous présenter une méthode d’écriture multiforme, où s’évoquent ses rêves et ses jeux de l’imagination et de la mémoire. Sa réflexion sur l’écriture se résume dans Si J’étais romancier:

‘“L’écriture romanesque que je recherche est la somme des possibles dans le champ de l’aventure.” “Je parle, je parle, je parle, j’imagine mille millions de romans, un océan de mots, la plus grande mer de la plus grande fiction où je viendrais maintenant, doucement, délicieusement, voluptueusement me perdre.” (SJR 98 et 197)’

L’auteur adapte particulièrement la technique du letmotiv pour déclencher la machine de l’écriture qui fonctionne image par image. Par exemple, on a la vieille clocharde qui ramasse des feuilles mortes (VAPP, Ch), la photo de Millie, morte à l’âge vert, qui se trouve sur le bureau d’écrivain Julian (CRNA), la toile de “Pantore” qui représente l’héroïne Ava et la “ musique maudite” (A, P), le jeu de go joué par M. Liu et Chayral à Hong Kong (MS, Ch) … En fait, il s’agit de montrer un fil conducteur qui développe l’imagination.

A travers ces diverses représentations, P.-J. Remy cherche sa propre voie, ce qui est affirmé par un de ses héros:

‘“A l’instar d’Antoine Vitez, il faudrait pouvoir inventer une écriture qui soit un langage nouveau capable lui aussi de tout dire, mais d’une autre façon, tout aussi totale et superbe.” (RV 217)’

Par ce même personnage, l’auteur fait citer aussi une phrase de Philippe Sollers:

‘“Il faut un roman où rien ne puisse oeuvrer à être inutile, où l’action éclate à la fois en vingt endroits différents et ne puisse être racontée qu’au prix de mille embarras et de mille recommencements.” (RV 183)’

Pour inventer cette écriture, l’auteur utilise la multiplicité et la diversité en rassemblant tous les éléments et toutes les manières. En somme, la multiplicité et la diversité sont deux points de vue adoptés par lui pour présenter ses personnages et ses récits. Ainsi, ses livres sont à la fois les unités singulières, les fragments d’un même univers, les expressions d’une même technique, mais constamment enrichie et transformée.