Entretien avec Pierre-Jean Remy
Le 11 janvier 1996 à l’Académie de France à Rome
- Xu: Je voudrais d’abord citer une de vos phrases recueillies par la presse. Vous avez dit: “Je fais à ma manière ma petite comédie humaine”Cité par N.G. dans “Mémoire pour l’histoire du siècle”, Le Travailleur Catalan, le 9 octobre 1992.. Pourriez-vous définir votre “petite comédie humaine”?
- P.-J.R:Le mot “petit” est employé par modestie, “comédie humaine”, c’est bien sûr par référence à Balzac. Dans la mesure où il y a trois ou quatre écrivains français du XIXe siècle que j’admire énormément dans des directions complètement différentes, Balzac est certainement l’un d’entre eux, pas seulement l’homme à l’imagination extraordinaire, pas seulement le romancier, mais simplement celui qui probablement mieux que personne nous rend compte de ce que peut être la vie dans toutes les classes de la société au cours du XIXe siècle. Je crois que ce n’est pas seulement une comédie humaine, c’est un tableau de la France dans la première moitié du XIXe siècle. Pour moi, c’est une oeuvre fondamentale, c’est une conception fondamentale. Dans la deuxième moitié du XIXe siècle, Zola l’a esquissé au siècle des Rougon- Macquard, mais avec une direction beaucoup plus orientée, avec moins de richesse. Peut-être quelqu’un comme Dickens l’a fait pour l’Angleterre. Mais je crois que Balzac dépasse de loin Dickens par l’étendue de la vue cavalière qu’il donne du siècle. Alors je deviens moi-même très modeste, et à partir de cette constatation, je pense que sans m’en rendre compte je le suis peu à peu en mettant les uns à côté des autres des livres publiés sur vingt-cinq ans. Je crois que j’essaye de montrer ce que peut être la France, ce que peut être l’Europe au cours de ces vingt-cinq dernières années. Ça n’a pas du tout une ambition balzacienne, mais simplement il se trouve que parlant de la guerre d’Algérie, parlant des révolutionnaires allemands de Baader, parlant de l’Europe pour ces quatre ou cinq dernières années dans mon dernier livre, je crois que c’est un peu une sensibilité, un portrait d’une certaine sensibilité européenne et française.
- Xu:Pourriez-vous parler un peu du rôle des femmes dans votre oeuvre? Je remarque qu’il y a un rôle de consolatrice, d’inspiratrice, de créatrice, etc.
- P.-J.R: Oui, je pense que, dans un premier temps, on a pu me faire remarquer que le rôle des femmes est un peu moindre dans mes livres, que les femmes ne jouaient pas un rôle de premier plan. Certains critiques ont été même beaucoup plus durs en faisant remarquer que les personnages de femme ont été un peu gommés ou correspondaient à des stéréotypes. Je ne crois pas que ce soit vrai. Au contraire, j’ai un certain nombre de livres dont les personnages principaux sont des femmes. En particulier, j’ai écrit un livre qui s’appelle Annette ou l’éducation desfilles, qui est une sorte de reprise au XXe siècle d’un grand roman de Stendhal qui est Lamiel. Annette est un personnage de femme beaucoup plus actif que dans beaucoup d’autres de mes livres. Dans deux autres de mes livres très récents aussi, un qui s’appelle De la Photographieconsidérée comme un assassinat, un autre qui s’appelle Qui tropembrasse, les deux personnages de femmes ne sont ni des muses, ni des consolatrices. Dans De la Photographie considérée comme un assassinat, c’est une femme un peu diabolique qui est elle-même créatrice, qui écrase tout sur son passage. Dans Qui trop embrasse, c’est une jeune femme qui prend en main le destin de celui qui est peut-être son père. Donc, ce sont des femmes beaucoup plus actives. Mais c’est vrai que peut-être le stéréotype de la femme dans mes livres, c’est un roman qui s’appelle Ava, dans lequel il y a un personnage qui s’appelle Ava précisément, qui est à la fois un portrait d’Ava Gardner et de Gene Tierney, mais qui est aussi une sorte de représentation mythique à travers des dizaines de peintures que j’ai décrites, des musiques, qui est une sorte d’image idéale d’une femme, qui est effectivement plus une inspiratrice qu’un caractère vraiment libre. Donc, je crois qu’il y a un balancement entre les deux. Et plus je vais de l’avant maintenant, plus mes femmes sont des créatrices, des personnages de plus en plus actifs.
- Xu: Dans Rêver la vie, le personnage de Mona qui est une actrice est décrit comme la bien-aimée de Nerval. Elle est belle, mais insolente. Le père du narrateur est très amoureux d’elle. Mais elle ne l’aime pas. C’est un amour impossible.
- P.-J.R: Oui. Mona, c’est la maîtresse du père du narrateur, c’est une femme insolente, c’est une femme qui a de la morgue, qui est une actrice ratée, qui voudrait devenir une grande actrice. C’est un personnage qui est un peu inspiré d’une jeune femme que j’ai connue à cette époque.
- Xu: Dans plusieurs de vos livres il y a toujours un vieux monsieur avec une jeune fille, par exemple, dans Salue pour moi le monde, Qui tropembrasse, Le Sac du Palais d’Eté, Chine, etc.
- P.-J.R: Oui, je crois que ça correspond à une chose très précise, c’est que j’aime les femmes bien sûr. Je crois que j’aime les femmes assez jeunes. J’ai toujours été en admiration devant des jeunes filles ou devant des jeunes femmes. Plus le temps s’en va, plus je vieillis. Et tous les ans je gagne un an, ou plutôt je perds un an tous les ans. Et c’est peut-être une sorte de représentation de ma crainte, de ma peur, de me trouver un jour un vieil homme, seul. Alors, dans tous mes livres il y a effectivement un homme âgé avec une jeune femme.
- Xu:C’est aussi une façon de souligner la jeunesse.
- P.-J.R:C’est une façon de rendre hommage à la jeunesse et de souligner la peur que je peux avoir quelquefois devant mon âge.
- Xu: Je voudrais aussi parler de certains traits de vos personnages. Par exemple, le retour des personnages, la ressemblance des personnages, etc. Il y a plusieurs personnages comme Pallas, Chessman, Guillaume, Simon, etc. qui se ressemblent beaucoup, et qui reviennent dans plusieurs de vos livres.
- P.-J.R: C’est bien sûr volontaire. C’est encore une fois une démarche, si j’ose dire, qui s’inspire de Balzac, c’est-à-dire le nom de mes personnages revient, des personnages reviennent parce qu’un personnage comme Chessman, écrivain qui n’arrive pas à écrire, est un peu une caricature d’écrivain, ou le personnage d’Otrick que j’ai utilisé aussi à plusieurs reprises, ce sont des personnages que j’aime retrouver. Ils ont joué le rôle principal dans certains livres. Par exemple, Chessman a un rôle très important dans Le Sac du Palais d’Eté, et puis il réapparaît. Il est en fait comme un personnage principal d’un autre livre qui s’appelle Une Mort sale, qui se passe à Hong Kong, mais il s’appelle Jean Chayral au lieu de Chessman. C’est le même personnage.
- Xu:Il y a aussi des traits négatifs chez certains personnages. Je cite une phrase d’Hervé Bazin: “Il vaut mieux montrer des salauds, mais des salauds qui ne sont pas contents de l’être, et qui nous ressemblent tous.”Propos recueilli par P.A. Crant, dans “Entretien avec Hervé Bazin”, French Review, Vol. XL VIII, 1974, p.260.
- P.-J.R:Alors là, je ne sais pas s’il vaut mieux montrer des salauds qui ne sont pas contents de l’être, parce que certains de mes personnages sont des salauds qui sont contents de l’être. Vous voyez, c’est vrai qu’il
- y a des personnages qui sont très négatifs. Dans la vie, nous rencontrons des personnes très positives et des personnes très négatives. Il est certain que j’ai des personnages qui, pour moi, ont une valeur positive depuis le début. Je pense que des personnages aussi différents, pour revenir à Une Mort sale, que Monsieur Liu et Chayral sont pour moi des personnages très positifs, même si l’un, Monsieur Liu, est positif dans tous les sens du mot, est un homme bon, intelligent, sensé, et l’autre, Chayral peut être un salaud, peut se conduire mal, peut coucher avec des gamines. Il n’empêche que c’est quelqu’un qui essaie désespérément de s’en tirer et de créer quelque chose.
- Xu: Je remarque aussi que beaucoup de vos personnages cherchent le sujet du livre. Par exemple, dans Le Sac du Palais d’Eté, Chine, l’écrivain Chessman cherche tout le temps le sujet de son livre. Dans LaFigure dans la pierre, le vieil écrivain qui est malade et qui ne peut plus écrire fait venir un jeune architecte pour restaurer sa maison et pour l’aider à retrouver le sujet de l’écriture.
- P.-J.R: Oui, c’est la même chose dans un de mes livres plus récents qui s’appelle Un Cimetière rouge en Nouvelle-Angleterre. Je crois que le sujet du livre, c’est un point. Ce qui est important pour moi, c’est d’écrire. En cherchant le sujet d’un livre, mes personnages cherchent en fait à écrire, cherchent à continuer à écrire. Parce que chercher le sujet du livre est peut-être la première démarche. Et je le fais encore une fois de la même manière quand vous parlez du vieux monsieur et de la jeune fille. Eh bien là, c’est aussi une de mes hantises, une de mes peurs de ne plus pouvoir écrire. Je crois que pour un écrivain, il n’y a rien de plus tragique que de ne plus pouvoir écrire. Heimingway s’est suicidé parce qu’il était devenu impuissant physiquement. Je pense que ne plus arriver à écrire pour un écrivain, c’est une des déchéances encore plus énormes. Et mes personnages se battent contre cette déchéance. C’est la raison pour laquelle j’ai symbolisé ça par la recherche du sujet du livre. Parce que c’est une manière de le dire. C’est peut-être aussi une manière de dire qu’ils veulent écrire.
- Xu: Dans votre oeuvre, vous montrez sans cesse la nécessité d’écrire, le besoin d’écrire, le salut par la littérature, par l’écriture. En fait, votre désir d’écrire s’exprime à travers vos personnages.
- P.-J.R: Je dirais que pour moi, ma seule raison d’être, c’est d’écrire, la seule raison de me sauver, c’est d’écrire. Parce que je suis écrivain. Je serais peintre, ce serait de peindre. En ce moment, je suis en train d’écrire un livre dont le personnage principal comme d’ailleurs un personnage d’un autre de mes livres qui s’appelle Des Châteaux enAllemagne était un peintre du XVIIIe siècle. Là c’est un peintre d’aujourd’hui qui se demande comment on peut encore faire de la peinture aujourd’huiIl s’agit d’Aria di Roma.. Je crois que certains trouvent peut-être leur salut en trouvant Dieu, en étant bons, en étant des hommes d’Etat, en se sauvant. Moi, je suis chrétien. Je suis catholique. Hélas, ça n’a pas suffisamment d’importance dans ma vie. Je ne veux pas le pouvoir, je ne veux pas de l’argent. Et il y a deux choses qui m’intéressent, c’est l’écriture et l’amour. Ce sont les deux seules choses: une femme et l’écriture. Mais ça pourrait être la peinture si j’étais peintre. C’est vrai que pour moi, ma raison d’être, ma raison d’espérer faire quelque chose, c’est d’écrire.
- Xu: Vous avez mis en partie votre autobiographie dans l’oeuvre. Est-ce que c’est une manière de vous identifier avec vos personnages?
- P.-J.R: Il y a une phrase très connue en France dans la littérature française, c’est la phrase de Flaubert: “Madame Bovary, c’est moi”. Dans mon cas, je dirais que presque tous mes personnages, c’est moi, c’est-à-dire que tous mes personnages, d’une certaine manière ou d’une autre, même les personnages les plus éloignés de moi, transportent certaines de mes inquiétudes, certaines de mes angoisses. Donc, c’est une manière de raconter ma vie. Je crois que tout écrivain, à un moment ou à un autre, raconte sa vie. Si j’ai une recommandation à faire à un jeune écrivain, c’est surtout ne pas commencer par ça. Un jeune écrivain qui commence à écrire ne doit surtout pas essayer de raconter sa vie. Il doit essayer d’écrire quelque chose de très différent, sinon il tombera dans des maladresses. Très vite, une fois qu’on a été accepté comme écrivain, on ne peut pas faire autrement que de raconter plus ou moins sa vie. Moi, je la raconte beaucoup, et dans beaucoup de personnages.
- Xu: Je crois que c’est peut-être comme ce que Flaubert a dit: “Un écrivain réaliste vraiment conscient de son art ne peut guère que se raconter lui-même. Car il trouve en soi le document le plus complet, le plus sûr qui soit, peut-être même le seul possible”Jean Bruneau, Les débuts littéraires de Gustave Flaubert (1833-1845), Armand Colin, Paris, 1962, p.481..
- P.-J.R: Cette phrase je la reprendrai entièrement sauf le mot “réaliste”. Parce qu’un écrivain ne peut que se raconter, ce n’est pas parce que c’est le document le plus vrai. Ce qui est le plus immédiatement accessible, c’est qu’il met le plus proche. Ce n’est pas en tant que document vrai que je raconte ma vie. Je ne suis pas un écrivain réaliste.
- Xu: Je dirais qu’un des traits de votre écriture, c’est la récurrence de scènes. Par exemple, on trouve dans plusieurs livres la vieille dame anglaise qui ramasse des feuilles mortes et le cimetière rouge où les morts sont jeunes et portent le même nom.
- P.-J.R: Oui, c’est comme les personnages récurrents. Mais ça, c’est autre chose. Je pense qu’il y a un certain nombre de thèmes, un certain nombre d’images qui nous frappent tous. Moi, j’ai un certain nombre d’images qui m’ont beaucoup frappé, qui sont des images de ma jeunesse, de mes premières années, soit d’enfance, soit de vie active. Et d’une certaine manière, comme elles ont une certaine efficacité pour déclencher en moi d’autres images, d’autres idées, j’aime bien les citer, j’aime bien les retrouver. Ce n’est pas seulement une citation, c’est ce que les musiciens appellent le leitmotiv. J’aime avoir le leitmotiv de la vieille dame qui ramasse des feuilles, le leitmotiv du cimetière qui revient. Sur certains tableaux du Carpaccio, on a toujours un petit chien quelque part.
- Xu: Vous indiquez dans votre oeuvre une quête de l’art. Par exemple dans Des Châteaux en Allemagne, au début le peintre peint seulement tout ce qui est beau, et à la fin il peint non seulement la beauté, mais aussi la laideur. Donc il y a un contraste entre la beauté et la laideur, une quête de l’art.
- P.-J.R: C’est simplement une sorte de cheminement spirituel du personnage qui parle de peinture belle au sens un peu superficiel du mot pour arriver à une sorte de vérité humaine. Ce n’est pas seulement une quête de l’art, à travers cette quête, c’est l’autre sorte de peinture que j’ai voulu montrer, que mon personnage devient de plus en plus homme, qu’il s’ouvrait de plus en plus à autre chose et à toutes les couleurs, c’est ça que j’ai voulu montrer. Mais, lorsque je parle de beau et de beauté, je pense à quelque chose d’autre, qui est une sorte d’équilibre, une sorte de rigueur. C’est ça que j’appelle le beau. Mon personnage, quand il traverse son itinéraire de peintre, ce n’est pas la beauté qu’il recherche, ce n’est pas l’art, puisqu’il n’est pas un bon peintre, il veut en fait à travers ses peintures essayer d’embrasser le monde.
- Xu:Selon Proust, l’art est plus réel que la réalité. Qu’en pensez-vous?
- P.-J.R: C’est une formule. Non, la réalité, c’est ce qui est plus réel. L’art est plus réel pour moi. Ce que l’on peut dire aussi, c’est que la réalité bouge, l’art reste. La réalité peut être indifférente, peut être grise. L’art qui la représente, même si c’est un art indifférent, gris, peut être une autre valeur.
- Xu: Pourriez-vous définir le rapport entre l’art et la littérature?
- P.-J.R: D’abord, je dirais que la littérature est aussi un art, et que dans ma conception de la littérature, les autres arts font partie intégrante de l’univers dans lequel vivent mes personnages. Parce que je pense que je ne peux pas vivre sans musique, sans peinture, sans poésie, sans roman, ça fait partie de mon univers, c’est le premier point. Le deuxième point, c’est que la peinture, la musique, etc. offrent tout un ensemble de références d’idées, d’images qui sont presque aussi vraies que la réalité, c’est-à-dire, lorsque je parle de Chine, je peux parler de souvenirs que j’ai de Pékin, de Shanghai, de promenades que j’ai pu faire dans le Shanxi. Mais je parlerais de la même façon de Segalen, de grands romans chinois qui ont eu autant d’importance que la peinture chinoise. Je pense que, c’est dans ce sens-là que la phrase de Proust est un peu vraie. Pour moi, par exemple, qui ne suis allé qu’une fois à Guilin, il y a des peintures Song qui représentent beaucoup plus Guilin pour moi que ce que j’ai pu en voir. Voilà, nous avons les stéréotypes qui sont ces peintures.
- Xu: Je trouve que le temps chez vous, c’est plutôt un temps vécu. Car votre écriture est en effet issue de la mémoire et des souvenirs. Vous retracez le passé, la vie vécue.
- P.-J.R: C’est vrai que le souvenir pour moi correspond au temps qui n’est que l’accumulation de souvenirs et d’images que j’ai engrangés. Ce n’est pas du tout un temps abstrait, ni un temps philosophique, ni un temps physique, c’est un temps sentimental et personnel.
- Xu: Comme vous, vos personnages font beaucoup de voyages, ils se déplacent souvent. Cela nous laisse une impression de mouvement, de va-et-vient. En fait, c’est une écriture rythmique et active. Il y a aussi un lien étroit entre voyage et écriture. Michel Butor a dit: “Voyager, c’est écrire. Ecrire, c’est voyager.”Michel Butor, Répertoire 4, Minuit, 1974, p.10.
- P.-J.R: Je suis tout à fait en accord avec la formule de Michel Butor. D’abord, pour reprendre le premier thème de ce que vous m’avez dit, c’est vrai que mes personnages se déplacent énormément, parce que j’ai moi-même beaucoup voyagé. Lorsque j’ai dit qu’il y avait deux choses qui étaient importantes pour moi, c’étaient la femme et l’écriture, j’aurais pu ajouter les voyages. Ce n’est pas vraiment ça, parce que les voyages en fait nourrissent l’écriture. Je me rends compte que je ne voyage pas, je ne regarde pas un musée, je n’écoute pas une musique sans me demander ce que je pourrai en retirer sur le plan réel. Donc, les voyages font véritablement partie de mon écriture. Depuis des années, chaque fois que je suis en voyage, je prends des tas de notes. Tout ça nourrit mon écriture. Donc, mes voyages sont une grande partie de mon écriture. Alors de la même manière que j’ai besoin de parler d’un tableau de la Renaissance ou d’une fresque du XIXe siècle dans une horrible chapelle du XIXe siècle pour telle ou telle chose, j’ai besoin aussi de parler de Prague, de Pékin, de Rome. Il y a des lieux qui pour moi sont des lieux aussi importants que la France. Je pense que Londres, Florence, Pékin ont été des lieux fondamentaux pour moi. Rome aussi.
- Xu:On remarque que l’espace chez vous est très vaste, parce qu’on est tantôt en Europe, tantôt en Amérique, tantôt en Asie, tantôt en Afrique.
- P.-J.R: C’est mon univers que je raconte. Ce sont les lieux que je connais et les lieux qui ont compté pour moi. Je crois que, d’une manière plus générale, et j’aurais dû le dire dès le début, lorsque vous parlez du personnage qui cherche un sujet de livre, mes sujets de livres sont très souvent inspirés par un lieu. C’est un lieu qui détermine le livre, l’histoire vient ensuite et les personnages viennent après. Mais c’est d’abord le lieu.
- Xu: L’intertextualité occupe une place importante dans votre oeuvre où vous avez cité beaucoup d’écrivains et un grand nombre de leurs ouvrages. Vous êtes à la fois lecteur et créateur puisque vous lisez, et que vous écrivez. Je crois que la lecture et l’écriture représentent deux piliers importants dans votre vie.
- P.-J.R: Oui, je ne peux pas vivre sans livre. Donc, lire des livres, posséder des livres, accumuler des livres, des références, des matériaux, ça fait partie de mon écriture. Certains de mes personnages sont libraires. J’ai écrit un livre qui s’appelait Mémoires secrets pour servir à l’Histoire de ce siècle, dans lequel il y avait un tas de personnages qui étaient des bibliophiles, des libraires. Je crois que c’est une métaphore. Les livres, c’est tout ce qui nous est ouvert, tout ce qui nous est donné. Et j’ai besoin de lire, j’ai besoin de citer.
- Xu: Est-ce que vous vouliez montrer que vous étiez influencé par certains écrivains ou inspiré par certains ouvrages? Vous aviez peut-être l’intention de souligner le rôle d’écrivain qui pourrait être considéré comme un personnage vivant?
- P.-J.R: C’est plutôt ça. Dans certains cas, il y a des personnages d’écrivains qui sont des personnages vivants, par exemple, Segalen dans Le Sac du Palais d’Eté. Mais la plupart du temps, c’est pour montrer que ces gens-là font partie de mon univers, que de la même façon je regarde Rome de ma fenêtreIl s’agit de la fenêtre de son bureau dans la Villa Médicis., et que de la même façon j’ouvre Stendhal.
- Xu: Paul Morand a dit dans Venises: “La vérité ne se trouve que dans les oeuvres d’imagination.” Et dans votre oeuvre, vous avez mêlé le réel avec l’imaginaire.
- P.-J.R: Oui, mais la réalité est aussi hors des oeuvres d’imagination. Simplement j’aime bien mélanger le réel et l’imaginaire dans mes livres, parce que c’est ma manière de passer d’un sujet à l’autre, de passer du vrai au faux, du réel à l’imaginaire. Je ne dirais pas que la réalité est seulement dans l’imagination, cela je ne le crois pas.
- Xu: Est-ce que vous avez l’intention de faire une recherche sur l’écriture?
- P.-J.R: Non, sûrement pas. La recherche sur l’écriture ne m’intéresse pas. Ce qui m’intéresse, ce sont deux éléments dans l’écriture. Pendant longtemps, ça a été la construction de la technique de mes livres: arriver à faire une construction très rigoureuse, très habile. Je faisais des fiches, des tableaux, etc. Je me désintéresse de ça. Maintenant, ce qui m’intéresse plutôt dans les livres, dans les romans, et sûrement dans ce que je fais en ce moment, c’est une approche plus poétique de l’écriture. J’arrive à m’intéresser plus à la poésie dans le roman. J’ai seulement publié deux recueils de poésie. Mon travail en ce moment, c’est un gros travail poétiqueIl s’agit de Retour d’Hélène., mais ce n’est pas un travail de recherche.
- ( D’après l’entretien avec P.-J. Remy )