4. La « fête » des mots

Bref, la poésie n’exclut ni le jeu ni le sourire :

Malheur à nous qui ne savons sourire
Et ne pouvons emprunter qu’au délire73.

Et que peut-on attendre du jeu, sinon un peu d’imprévu et d’insolite ? Les rapprochements inattendus ne manquent pas chez Supervielle, qui, en rendant « hommage à la vie », formule indirectement son projet poétique. « ‘C’est beau, dit-il,’

[...] d’avoir tous ces mots
Qui bougent dans la tête
De choisir les moins beaux
Pour leur faire un peu fête »74.

Or, pas de fête sans jeu et pas de jeu sans incertitude ni surprises : dans l’espace du poème, la « fête » offre des rencontres étonnantes et les mots les plus appauvris par l’usage retrouvent une nouvelle vigueur dans des contextes qui les « dépaysent ». On sait que le paradoxe s’inscrit dans la même logique.

Notes
73.

« L’Ironie », L’Escalier, p. 579.

74.

« Hommage à la vie  », 1939-1945, p. 428. Dans une interview portant, il est vrai, sur son théâtre, Supervielle a confirmé son goût pour les mots les plus communs : « Je n’aime pas user de termes somptueux. [...] Et je suis toujours attiré par les mots pauvres » (« Supervielle nous parle du théâtre poétique », interview par Claude Cézan, Les Nouvelles littéraires, 7 octobre 1948). Rares sont les poèmes où il s’est départi de cette préférence (cf. « Paroares, rolliers, calandres, ramphocèles... », dans « Aux oiseaux », Débarcadères, p. 134, ou « Amphidontes, carinaires... », dans « La Belle au bois dormant », Gravitations, p. 178).