Parfois syntaxique, comme dans ce vers où les participes passé et présent se répondent :
ou dans « Une étoile tire de l’arc », quand sont coordonnés futur et passé simple du verbe être :
l’alternance s’appuie plus volontiers sur le lexique :
Comme on pouvait s’y attendre, le texte recourt volontiers aux couples d’antonymes consacrés par l’usage :
et souvent, comme dans ce dernier vers, l’alternance s’appuie sur des mots d’une même famille, tels que le verbe simple et un dérivé :
Quand il respire il déforme et forme une nébuleuse.182
Tantôt alouette ou corbeau,
(...)
Tu fais, tu défais l’édifice183
Et l’homme qui de plus en plus
Fut hanté par cet escalier
En fut lié et délié184
ou bien deux dérivés :
Et quand le mouvement pendulaire demande à être souligné, le premier terme est repris (éventuellement renforcé par un préfixe) ou remplacé par un équivalent :
Structure de haut rendement, l’alternance tend parfois à se répéter mécaniquement, bref, à devenir procédé, mais en même temps elle révèle son rôle fondamental dans l’engendrement du texte :
Mais quel est donc l’enjeu de ces alternances, de ce mouvement pendulaire si souvent répété ? À travers ces structures à deux temps, le texte, manifestement plus soucieux d’exprimer la complémentarité que l’opposition, survole tout un champ lexical en faisant l’impasse sur l’entre-deux. Les contraires, ainsi juxtaposés ou reliés par et, marquent les limites d’un même mouvement et le donnent à voir — du moins l’esquissent — dans toute son amplitude, dans sa complétude. En d’autres termes, les extrêmes ne se font plus face, prisonniers de leur nature « farouche »190 ; ils participent du même mouvement de balancier191 qu’aucun « mur »192 n’interrompt.
« Soleil », Le Forçat innocent, p. 240.
Gravitations, p. 164.
« Alarme », Gravitations, p. 204.
« Portrait », Oublieuse mémoire, p. 505.
« L’Escalier », L’Escalier, p. 572.
« L’Âme », Les Amis inconnus, p. 310.
« Oloron-Sainte-Marie », Le Forçat innocent, p. 258.
« Apparition », Gravitations, p. 163.
« L’Oiseau de vie », Oublieuse mémoire, p. 493.
« L’Escalier », Oublieuse mémoire, p. 497-498.
« Londres », Le Corps tragique, p. 614.
« Rêve », Gravitations, p. 194.
« Haut ciel », Gravitations, p. 183.
« Elle avance, elle s’éloigne... » Le Forçat innocent, p. 255.
« L’Homme », Oublieuse mémoire, p. 496.
Roland Barthes, op. cit., p. 33.
Tineke Kingma Eijgendaal a relevé chez Supervielle « un balancement continuel entre des contraires » qu’il qualifie d’« existentiel » (art. cité, p. 75). On peut lire dans le même article : « Sur le plan thématique, l’oscillement se fait continuellement sentir » (p. 93). Cette opinion est partagée par Robert Vivier : « le dynamisme superviellien est tout entier va-et-vient le plus souvent véhément de l’esprit d’un homme » (op. cit., p. 189) et par Tatiana W. Greene : « Il y a sans nul doute chez Supervielle, polarité, ambivalence : de la mort à la vie, de la nuit au jour, de la terre au ciel, nous suivons le balancier dans son va-et-vient » (op. cit., p. 81).
Plusieurs critiques ont observé à ce propos que le monde du poète est soumis à une alternance de phases positives et négatives ; ainsi Robert Vivier : « Destruction et construction ne se succèdent pas mais plutôt alternent » (op. cit., p. 195) et Franz Hellens : « l’univers du poète va du fatras à la construction, de celle-ci à l’anéantissement et du chaos à la reconstruction » (« Prose et Poésie », La Nouvelle Revue française, « Hommage à Supervielle », n° cité, p. 681). Le texte poétique, évidemment, ne manquera pas de refléter cette loi générale : « Un poème de Supervielle est une formation perpétuelle, une chose qui se fait, se défait, se reprend à l’infini » (ibid., p. 680).
Roland Barthes, op. cit., p. 34.