6. Principe conjonctif et architecture du sens

Naturellement, la relation d’antonymie va s’en trouver profondément transformée. Dès lors que les signifiés de deux antonymes se rejoignent et même se recouvrent partiellement, la loi de non-contradiction en vigueur dans le code est invalidée, ainsi que le principe d’exclusion réciproque des contraires. Refusant la loi « ‘A exclut -A’ » qui structure la langue commune, le texte nous initie à une logique beaucoup plus souple qui tolère la coexistence de A et de -A. Nous voici engagés très loin dans la subversion langagière, puisqu’à travers la relation d’antonymie, c’est toute l’organisation du sens qui est touchée. Une telle démarche suppose des enjeux d’importance. De fait, il s’agit notamment de libérer le langage d’un principe qui l’appauvrit — en ce sens qu’il réduit ses possibilités combinatoires — et de substituer à la langue des ruptures celle de la « continuité »204. Le paradoxe conjonctif s’inscrira fort logiquement dans cette démarche, dont il représentera la forme la plus accomplie et la plus audacieuse.

Notes
204.

Philippe Jaccottet, op. cit., p. 22. Rainer Maria Rilke s’était lui aussi montré sensible à cette « continuité » : « C’est très beau, cela crée une continuité par-dessus les abîmes, je sens que cela ne s’arrête nulle part » (lettre à Supervielle du 28 novembre 1925, in Claude Roy, op. cit., p. 29). Cf. encore Georges-Emmanuel Clancier : « Sa poésie [...] nous rend sensible [...] la continuité de notre être et du cosmos » ( in Florence de Lussy, op. cit., p. 9).