Conséquence directe de la dynamique centrifuge observée plus haut, la dissociation paradoxale va revêtir des formes multiples qui se laissent néanmoins réduire à deux grands types : d’une part les séquences proprement disjonctives, d’autre part celles qui, grâce à des inversions ou des redistributions, recomposent un intertexte transparent ou prennent à revers l’univers de croyance dominant. Reconnaissons qu’à première vue, cette référence à la doxa et au « hors texte » pose problème dans la mesure où elle laisse supposer que la poésie ne peut s’envisager qu’à l’aune du langage ordinaire. Il reste que toute dissociation, qu’elle soit disjonctive, inversante ou redistributive, postule une norme, du moins un « donné » remodelé par le texte et de fait, les références indirectes au code général ne manquent pas chez Supervielle. Deux exemples parmi d’autres : lorsque j’évoque ‘« des vagues sans eaux’ »239, certes j’annule un sème nucléaire, mais en même temps j’assume implicitement la norme autant que la figure, je reconnais le « hors texte » que mon texte supplante, la doxa avec le paradoxe qui tout à la fois la rejette et la cautionne ; de même, quand j’annonce un contenu plus grand que son contenant240, j’induis un fonctionnement dialogique grâce auquel le paradoxe laisse lire en transparence le discours de l’expérience. On le voit, les schémas fondamentaux de la disjonction et de l’inversion présentent des similitudes fonctionnelles. Leurs spécificités et leurs enjeux (quand les unes séparent, les autres recomposent) nous imposent néanmoins de les envisager séparément.
« Coeur », Gravitations, p. 193.
Cf. « Ici le contenu est tellement plus grand
Que le corps à l’étroit, le triste contenant... »
(« Le Corps », La Fable du monde, p. 374).