I. Les paradoxes disjonctifs

1. Les opérations logico-sémantiques

Pour appréhender la nature des paradoxes disjonctifs, il convient en premier lieu de repérer leur spécificité matricielle, celle d’où découlent toutes les autres, ou qui leur donne sens.

A. La séparation cause-conséquence

Parmi les opérations logico-sémantiques qui génèrent la disjonction paradoxale, la dissociation cause-conséquence se répète avec une fréquence assurément significative. Parfois, l’indice se maintient, tandis que la cause reste occultée241 :

On voyait le sillage et nullement la barque242,

mais l’inverse se produit plus souvent :

Un nuage de garçons glisse toujours vers ses lèvres sans qu’il paraisse avancer243
Des visages nouveaux formés par le hasard
Riaient et sans que l’on perçût le moindre rire244.

Seule reste l’action, curieusement privée de sa manifestation sensible. Comme s’il hésitait à s’inscrire dans le réel, le fait semble détaché de toute chaîne événementielle, coupé de son corollaire :

Ô poètes, rapprochons nos chaises à travers tout l’océan,
Elles n’en seront pas troublées ni le moins du monde mouillées245
Il [...] se coupe devant lui une main sans qu’il y ait une trace de rouge246.

De même, le cheval de La Fable du monde ‘« jamais ne souleva de poussière’ »247 et les oiseaux, échappant à toute matérialité, sont souvent impliqués dans des phénomènes qui ne produisent pas les effets attendus :

Des oiseaux traversaient le haut toit sans le voir248
Le plomb les traversait sans arrêter leur vol249
Et les oiseaux traversent la cloison sans que tombe même un petit peu de plâtras250.

Notes
241.

Ou bien l’action est citée, mais pas l’agent. Robert Vivier évoque à ce propos « un art de réserve qui consiste à énoncer l’action sans nommer l’acteur » (op. cit., p. 181).

242.

« Le Sillage », Les Amis inconnus, p. 315.

243.

« Sans murs », Gravitations, p. 176.

244.

« Dans la chambre où je fus rêvait un long lézard... », Le Forçat innocent, p. 248.

245.

« Champs-Élysées », Oublieuse mémoire, p. 521.

246.

« Le Survivant », Gravitations, p. 169.

247.

« Allons, mettez-vous là au milieu de mon poème... », p. 392.

248.

« Dans la chambre où je fus rêvait un long lézard... », Le Forçat innocent, p. 248.

249.

« Vivre encore », Les Amis inconnus, p. 326.

250.

« Le Chant du malade », L’Escalier, p. 574.