Les effets du principe disjonctif se font plus troublants encore lorsque le tout et la partie cessent d’être indissolublement liés. L’élément s’impose alors isolément, dans une séquence forcément paradoxale :
et inversement, le tout est souvent privé de ses parties constitutives. La plante, par exemple, pousse sans racines :
et le village est progressivement « déconstruit » à travers un inventaire de ses éléments étrangement ponctué de « sans » :
De même est esquissé un mystérieux portrait à coup de retranchements successifs :
et un poème des Amis inconnus nous présente :
Familier des formules soustractives, le texte évoque tour à tour des « ‘oiseaux sans ailes ’»273, un « ‘vaisseau sans mâts’ »274, un « ‘oeil [...] sans paupières’ »275, des « ‘rivières sans poissons’ »276, des « ‘carrosses sans roues’ »277, une « ‘nuit sans étoiles / Sans courbe ni nuages’ »278 et une « ‘maîtresse [...] / Sans regard, sans coeur, sans caresses’ »279.
Poussant à l’extrême sa logique de « déréification », le poème en vient à séparer le tout de la somme de ses éléments ; ainsi deux synonymes S1 et S2 peuvent être disjoints selon le schéma S1 sans S2, comme dans « ‘causer ainsi, sans se parler’ »280. La séquence A sans A devient alors possible, A pouvant représenter un substantif (« ‘Notre corps sans le corps’ »281) ou un verbe (« ‘tout dire sans le dire’ »282, « ‘Croire sans croire’ »283, « ‘Elle bouge sans bouger, elle sourit sans sourire’ »284).
« Dieu pense à l’homme », La Fable du monde, p. 354.
« Apparition », Gravitations, p. 164.
« Le Village sur les flots », Gravitations, p. 207-208.
« Quelqu’un », Le Corps tragique, p. 600.
« Le Monde en nous », p. 340.
« Ce peu... », 1939-1945, p. 440.
« Grands yeux dans ce visage... », Le Forçat innocent, p. 245.
« Le Forçat », Le Forçat innocent, p. 237.
« Coeur », Le Forçat innocent, p. 238.
« Venise », Le Corps tragique, p. 647.
« L’Allée », Les Amis inconnus, p. 301.
« Celui qui chante dans ses vers... », La Fable du monde, p. 386.
« Vivre encore », Les Amis inconnus, p. 326.
« À la nuit », p. 475.
« Madame », Oublieuse mémoire, p. 491.
Titre d’un poème de L’Escalier, p. 584.
« Mon enfance voudrait courir dans la maison... », Le Corps tragique, p. 627.