On ne saurait en effet dissocier la nature et le rythme des séquences disjonctives. Ainsi, parmi les vers courts, se dessine une opposition entre le pair et l’impair. Grâce à leur légèreté et à leur souplesse, les mètres pairs courts (hexa- et octosyllabique) se prêtent aux bons mots, aux concetti, comme dans ce paradoxe précieux :
Cependant, proches des rythmes de la prose, ils s’adaptent sans aucune difficulté à la narration et prennent volontiers les accents du conte :
La rapidité et la concision de ces mètres conviennent aussi aux déconstructions :
Dans le même esprit, le texte suspend volontiers dans ces cadres métriques la condition nécessaire au procès :
ou à l’existence de l’être ou de l’objet évoqué :
À travers ces diverses opérations, il semble que les êtres et les choses perdent peu à peu leur matérialité, qu’ils se « déréifient ». Les séquences impaires, quant à elles, ne se contentent pas de vider le concept de ce qui le constitue : elles font passer une frontière au coeur même de l’être. C’est en effet bien souvent en cinq ou sept syllabes que s’exprime la coupure ontologique évoquée plus haut :
Incluse dans un verset ou un vers de quatorze syllabes, la formule impaire garde sa spécificité :
L’être n’est plus seulement frappé dans ses propriétés ni même dans ses éléments constitutifs, mais dans son essence. Comment ne pas douter, devant de tels énoncés, de sa capacité à se rassembler ? Déjà il est devenu impossible de le situer. L’unité semble alors relever de la nostalgie ou du rêve inaccessible.
Pour les mètres longs, la distinction entre pair et impair cesse d’être opératoire, puisqu’au-delà du décasyllabe, les seuls mètres employés sont l’alexandrin et, plus rarement, le vers de quatorze syllabes. Le rythme du premier et la tradition qu’il véhicule donnent volontiers à la séquence des accents oratoires :
Grâce à son ampleur, somme toute rassurante, le discours paradoxal peut même atteindre à une certaine sérénité :
Quant au vers de quatorze syllabes, sa longueur lui permet d’accueillir des formes renforcées, « emphatiques », de paradoxes disjonctifs :
Sans doute faut-il se garder de tout excès de systématisation. Il reste que les séquences disjonctives paires et impaires tendent à s’opposer, au total, comme la suspension à la coupure, les premières affectant les êtres et les choses dans leurs éléments constitutifs, les secondes à la racine de leur identité.
« Madame », Oublieuse mémoire, p. 491.
« Le Mirliton magique », Le Corps tragique, p. 628.
« La Colombe », Oublieuse mémoire, p. 494.
« L’Allée », Les Amis inconnus, p. 301.
« Le Village sur les flots », Gravitations, p. 207.
« Commencements », Gravitations, p. 173.
« Visages », À la nuit, p. 478.
« Homo sapiens », 1939-1945, p. 466.
« Rencontre », 1939-1945, p. 442.
« Plein ciel », 1939-1945, p. 438.
« Nuit en moi, nuit au dehors... », La Fable du monde, p. 382.
« Tristesse de Dieu », La Fable du monde, p. 367.
« Un cheval confidentiel... », Le Corps tragique, p. 617.
« Tristesse de Dieu », La Fable du monde, p. 368.
« Le Portrait », Gravitations, p. 160.
« Sonnet », Oublieuse mémoire, p. 492.
« La terre chante », Oublieuse mémoire, p. 509.
« Vivre encore », Les Amis inconnus, p. 326.
« Tristesse de Dieu », La Fable du monde, p. 368.
Ibid.