B. Second critère : la place

On l’a vu plus haut, l’importance d’un type d’énoncés se juge notamment par la place qui lui est dévolue dans l’espace du poème. Or, si les séquences inversantes ou redistributives se glissent aisément dans le corps du texte, beaucoup d’entre elles occupent une position clé. Ainsi trouve-t-on en début de strophe le chassé-croisé confondant habilement le charme de la poétesse et celui de ses vers538 ou, dans « Dieu derrière la montagne », l’interrogation qui relance la réflexion sur l’attitude de l’homme vis-à-vis de Dieu539.

La mise en relief est plus évidente encore lorsque l’énoncé paradoxal ouvre le poème :

Le monde allait à reculons
Vers son commencement polaire540

ou le termine :

Oh ! je te sens si près qu’en moi tu resplendis,
Et que mes yeux soudain s’emplissent de tes larmes 541,

surtout si, comme ici, la formule est détachée du reste du poème.

La séquence peut se signaler par d’autres moyens, comme un changement de mètre :

Notre coeur frappe drôlement
Ses coups comme quelqu’un qui ment.
Et lorsqu’on y songeait le moins,
Comme quelqu’un vient de très loin,
C’est le vrai soleil à l’ancienne
Qui se coule dans nos persiennes.
L’avenir sans un pli glisse vers le passé
Le jour nous dévisage et le temps, espacé542

ou une rupture énonciative impliquant un passage au discours direct :

Sur sa face à l’abri du temps
Il passe une main attentive
Ou bien l’examine un moment
Tour à tour évasif ou grave.
«  Écoute, Dieu de la lunette,
C’est un homme qui t’a surpris,
Ne lèveras-tu pas vers lui
Ton regard et ta large tête [...] » 543.

Enfin, la séquence peut clore le recueil en même temps que le poème ; ainsi se termine en effet 1939-1945 :

Qu’il me suffise de te dire
Que c’est ton sage testament
Qui par secret renversement
M’emprisonna dans ce délire544.

La convergence avec les formes disjonctives est évidente : ici encore, la place assignée au paradoxe reflète l’efficacité que le code textuel lui reconnaît dans la manifestation de la dynamique dissociative.

Notes
538.

« À un poète », Oublieuse mémoire, p. 533.

539.

« Qui suis-je dans l’ombre égoïste

Pour traiter d’égal à égal

Ce Dieu qui soudain me résiste

Ou c’est moi qui lui fais du mal ? »

(« Dieu derrière la montagne », Le Corps tragique, p. 598)

540.

« Le monde allait à reculons... », Le Corps tragique, p. 604.

541.

« Comme une bienveillante et magnifique fleur... », Comme des voiliers, p. 21.

542.

« Les Deux Soleils », L’Escalier, p. 587-588.

543.

« Dans une goutte de la mer... », La Fable du monde, p. 371-372.

544.

« Testament », 1939-1945, p. 469.