Dans la mesure où ces paradoxes forment un corpus assez limité, on peut hésiter à établir des rapports entre la nature ou la tonalité de la séquence et le mètre qui lui fournit son cadre rythmique. Il semble bien, pourtant, que le tempo vif et léger des vers courts corresponde à des séquences exprimant la volatilité de la matière poétique ou l’instabilité des rôles et des repères. Ainsi, les « échanges » entre les arbres, les rochers et le fleuve sont narrés en hexasyllabes545 et l’on retrouve ce mètre dans le bilan du voyageur immobile :
L’heptasyllabe se prête lui aussi à l’expression de l’instabilité régnante et des chassés-croisés qui en résultent :
Quant à l’octosyllabe, dont on sait qu’il « ‘rase la prose’ », il peut accueillir des paradoxes narratifs, comme l’a montré l’« ascension » de la jeune fille dans « La Giralda »548. Il abrite aussi des séquences au discours direct, ainsi dans Le Corps tragique, lorsque l’énonciateur s’interroge sur son attitude envers Dieu549 ou dans La Fable du monde, quand il s’adresse à lui après l’avoir repéré au bout de son microscope « ‘[d]ans une goutte de la mer’ »550. Le rythme de l’octosyllabe s’impose d’ailleurs sans difficulté à l’intérieur d’un verset discursif :
De son côté, l’alexandrin confère ampleur et solennité à la séquence qu’il semble « dramatiser », surtout si, comme on l’a vu, il est détaché en fin de poème552 ou fait suite à des vers plus courts553. Après une série de versets, il donne à l’expression la fermeté qui sied aux conclusions — fussent-elles partielles, comme ici :
Enfin, le verset, en dehors de tout cadre préétabli, transmet au paradoxe l’audace qu’il tire d’un imaginaire livré à sa seule dynamique :
Bref, même si, dans le cas présent, le corpus reste modeste, il se confirme que le rythme d’un énoncé paradoxal n’est pas étranger à sa tonalité.
Le Forçat innocent, p. 287-288.
« Hommage à la vie », 1939-1945, p. 427.
« Confusion », Oublieuse mémoire, p. 535.
Oublieuse mémoire, p. 529.
« Dieu derrière la montagne », p. 598.
« Dans une goutte de la mer... », p. 371-372.
« Tristesse de Dieu », p. 367-369.
C’est le cas de :
« Et que mes yeux soudain s’emplissent de tes larmes... »
(« Comme une bienveillante et magnifique fleur... », Comme des voiliers, p. 21).
« Les Deux Soleils », L’Escalier, p. 587-588.
« Le Corps », La Fable du monde, p. 374.
« À Lautréamont », Gravitations, p. 222.