I. Les matrices logiques de la conjonction paradoxale

La description des paradoxes conjonctifs suppose que l’on dégage en premier lieu les matrices qui les sous-tendent. Une question préalable se pose toutefois : le texte préfère-t-il dissimuler les schémas logiques ou les laisser transparaître ?

1. Les scénarios de la mise en oeuvre

On sait que le paradoxe conjonctif implique l’inscription de termes antinomiques dans un même segment d’énoncé. Cela dit, l’usage veut que le poème se borne à proposer le résultat de ce rapprochement audacieux. Si, en règle générale, il en va bien ainsi chez Supervielle, la dynamique ayant amené la formule peut aussi se donner à lire dans le texte — quitte à atténuer singulièrement la tension paradoxale. La genèse de la séquence s’affiche alors, attestant qu’à travers le paradoxe le poète ne recherche nullement l’obscurité. Ainsi, le poème ne répugne pas à « expliquer » pourquoi le sanglot ressemble au silence ou comment la mer est devenue douce :

C’est un sanglot d’enfant mais venu de si loin
Que l’on ne saurait plus que l’appeler silence582
Il a plu si fort que la mer est douce583.

De telles explicitations demeurent néanmoins exceptionnelles. Même s’il ne prise jamais l’hermétisme, le texte reste en général plus discret sur ses processus d’engendrement, allant parfois jusqu’à nous dissuader de porter sur lui un regard trop inquisiteur :

N’allez pas faire l’enquêteur
Au Nord, au Sud de l’Équateur,
Pour voir où s’inspira l’auteur,
Aux pieds de quelque Cordillère
Sauvage, mais familière584.

Ni dissimulation ni exhibition, donc. Comme en témoigne le dernier vers, le texte adopte volontiers un moyen terme : le schéma logico-sémantique non explicité, mais transparent. Rien ne vient alors occulter le mécanisme sous-jacent, comme ici la conjonction de deux termes tenus pour incompatibles dans le code général (sauvage vs familière). On verra que les éléments ainsi mis en relation seront tantôt des contraires, tantôt des contradictoires.

Notes
582.

« L’Enfant assassiné », 1939-1945, p. 422.

583.

« Il a plu si fort que la mer est douce... », Oublieuse mémoire, p. 515.

584.

« Mais voici venir les Créoles... », Poèmes, p. 100.