Ces exemples révèlent en outre le fonctionnement original de la causalité dans les paradoxes conjonctifs. Il apparaît en effet que le texte procède volontiers à la mise en relation de deux faits, soit f1 et f2, selon un schéma qui s’oppose à notre ‘« logique des mondes possibles’ »599 ; le poème donne par exemple à lire la suite f1 => - f2 quand le témoignage de nos sens ou notre représentation de la « réalité » nous laisserait attendre f1 => f2 :
Les relations entre le procès et l’objectif visé ou, en deçà, entre motivation et action traduisent aussi le caractère paradoxal de la causalité poétique :
Même constat entre le propos et les moyens mis en oeuvre : ici l’on peut fort bien être « ‘pêcheur’ », fût-ce d’illusions, « ‘sur des rives taries’ »606 et la logique poétique autorise cette injonction :
Le paradoxe « ‘idéaliste’ »608 appelle une remarque analogue : deux événements que notre expérience nous fait tenir pour totalement étrangers entrent soudain dans une relation de cause à effet. Écoutons l’étoile de « La Demeure entourée » :
À la célèbre formule « Je pense, donc je suis », le poète préfère une causalité à la fois plus affective et plus complexe, formalisable en ces termes : « Tu me penses, donc je suis ». Que la pensée soit la condition de l’existence — et non l’inverse — constitue déjà un paradoxe ; des liens secrets entre les êtres et les choses le rendent plus insolite encore en faisant dépendre l’existence de l’objet de la pensée du sujet. De même, le regard du poète, comme sans doute celui de tout homme, détient le pouvoir d’influer sur l’enchaînement et la survenue des événements :
En somme, des liens s’établissent entre des faits qui appartiennent d’ordinaire à des séries événementielles distinctes et une pensée, un regard peuvent transformer l’entourage ou le décor.
Jean-Michel Adam, Pour lire le poème, De Boeck-Duculot, 1992, p. 141.
« À une enfant », Gravitations, p. 161. Notons qu’à travers cette causalité paradoxale, le poète ne recherche pas particulièrement les formulations catégoriques (le modalisateur peut-être le montre bien). Il n’est donc pas étonnant que la même opération puisse s’envisager sur le mode de l’éventuel, comme dans les deux exemples suivants.
« Ce sont bien d’autres lèvres... », Les Amis inconnus, p. 317.
« Les Amis inconnus », p. 300.
« Croire sans croire », L’Escalier, p. 584.
« Le Don des larmes », Le Corps tragique, p. 596.
« La Mer », Oublieuse mémoire, p. 516.
« La Quinta », Comme des voiliers, p. 34.
« Le », Le Forçat innocent, p. 276.
Nous réservons ce terme aux formules qui font dépendre l’existence d’un être ou d’un objet du regard ou de la conscience du sujet pensant.
Les Amis inconnus, p. 331.
« Ce sont bien d’autres lèvres... », Les Amis inconnus, p. 317.