Mais plus encore que les contraires, le texte se plaît à conjoindre les contradictoires. Ceci implique un déplacement du rapport paradoxal, ou plus exactement un changement de niveau : les mots ou les expressions ne s’opposent plus diamétralement, mais de vives tensions se produisent entre les traits sémiques. L’un des termes présente alors dans son signifié un trait parfaitement opposé au sème nucléaire d’un ou plusieurs lexèmes voisins. L’ensemble peut évidemment composer un oxymore si la syntaxe s’y prête et si la tension lexicale est assez forte :
Ici encore, le schéma peut s’appuyer sur des éléments hétérogènes, tels qu’un lexème d’une part et toute une expression de l’autre :
Les séquences de ce type présentent parfois un déséquilibre encore plus marqué ; deux versets de longueur très inégale peuvent se répondre :
ou un seul mot contraster avec le reste du vers :
On le voit, la conjonction des contradictoires admet des variantes. Le schéma s’accommode d’ailleurs de formes plus ou moins diffuses lorsqu’il s’appuie à la fois sur les dénotations et les connotations :
Ici le rapport paradoxal n’est pas produit par les seuls signifiés dénotatifs (matin vs noir) : il s’établit aussi entre la dénotation de plein d’innocence et la connotation de noir, couleur emblématique de la menace et de la négativité. De même, dans « ‘bon sourire obscur’ »638 , le deuxième adjectif connote la persistance d’un mystère, d’un secret plus ou moins inquiétant qui contraste avec la dénotation du nom. Une tension similaire s’installe dans :
entre la dénotation du verbe luire et la connotation du comparant mort ou encore dans ce vers de « Premiers jours du monde » :
entre le substantif, qui renvoie à un être omnipotent et rayonnant, et le verbe, qui suppose l’humilité, voire la timidité.
« La Promenade à terre », Poèmes, p. 62.
« La fervente Kha-Li ne pouvait se consoler de la guerre », Poèmes, p. 72.
« L’Arrivée », Poèmes, p. 95.
« Paris », 1939-1945, p. 410.
« Quand le cerveau gît dans sa grotte... », Le Corps tragique, p. 594.
« L’Arbre », Les Amis inconnus, p. 343.
« Mon enfance voudrait courir dans la maison... », Le Corps tragique, p. 627.
« Je me souviens — lorsque je parle ainsi... », Les Amis inconnus, p. 317.
« Sécheresse dans la pampa », Comme des voiliers, p. 40.
« La Terre », Débarcadères, p. 143.
« Premiers jours du monde », La Fable du monde, p. 361.