D. Les séquences longues

Les séquences conjonctives peuvent réclamer encore un peu plus d’espace pour développer leur logique. Deux vers, dont au moins un alexandrin, sont alors nécessaires pour que le paradoxe se déploie :

Il est deux êtres chers, deux êtres que j’adore
Mais je ne les ai jamais vus826
Ils tournaient à l’envi, ou tournaient sur eux-mêmes,
Ne s’arrêtant que pour mourir
Changer de pas dans la poussière et repartir 827
« Si je croise jamais un des amis lointains
Au mal que je lui fis vais-je le reconnaître ? »828
L’on se voyait toujours pour la première fois,
Pour la dernière fois et pour les autres fois829
Dame qui me voulez fidèle à votre image
Voilà que maintenant vous changez de visage ?830

Des fragments de poèmes en prose ou des versets abritent aussi ces longues séquences selon des patterns déjà rencontrés dans l’alexandrin : tantôt les deux parties s’opposent avec vigueur :

Mais c’est l’oreille de la bonne qui écoute même quand elle n’est pas là 831
Elle serait bien capable de nous arriver tout doucement avant même de partir832.
Bien qu’elle se soit trouvée depuis longtemps, Venise se cherche et se cherchera toujours833,

tantôt les deux pôles de la figure se répondent d’un bout à l’autre de l’unité rythmique :

Et de purs ovales féminins qui ont la mémoire de la volupté 834
Et le soleil considérait les mains qui l’avaient sorti de l’ombre 835.

Une série d’octosyllabes pourra également accueillir une telle séquence :

Ce qui lui permet sans blasphémer
De se pencher sur ce qu’il aime,
Et même quand ce qu’il chérit
Luit si fort au-dessus de lui 836
C’est moi qui ne sais pas finir
Et dispose de cette allonge
Par-dessus le fossé du songe
Pour offrir après mille soins
À mes proches, à mon prochain,
Mon pain noiraud de poésie,
Lui qui si mal me rassasie
Qu’il augmente même ma faim 837.
Notes
826.

« À la mémoire de mes parents », Brumes du passé, p. 3.

827.

« Chevaux sans cavaliers », La Fable du monde, p. 403.

828.

« Les Amis inconnus », p. 300.

829.

« La Rêverie », Les Amis inconnus, p. 316.

830.

« Madame », Oublieuse mémoire, p. 491.

831.

« Pour avoir demandé à vivre, vous serez durement punis... », Le Corps tragique, p. 643.

832.

« Rythmes célestes », Le Corps tragique, p. 647.

833.

« Venise », Le Corps tragique, p. 647.

834.

« Derrière ce ciel éteint », Débarcadères, p. 126.

835.

« Genèse », Oublieuse mémoire, p. 522.

836.

« Dialogue avec Jeanne », 1939-1945, p. 426.

837.

« Ces longues jambes que je vois... », À la nuit, p. 480.