E. Les séquences très longues

Enfin, le discours paradoxal prend quelquefois plus d’ampleur encore. Certains poèmes narratifs en offrent des exemples, comme « Du fond des âges », où le temps se laisse parcourir librement :

Du fond des âges révolus
Ces petits yeux s’en sont venus
Voir ce qui se passe en ce monde
Et connaître cette seconde838.

De même, dans « À la nuit », un énoncé qui développe successivement les deux isotopies antinomiques du feu et de l’eau s’étire sur plusieurs vers :

Comme une seule torche est cette peau qui flambe
s’enflamme soudain l’autre corps tout ensemble,
La double volupté houleuse entre nos murs
Devient un seul naufrage chavire l’impur839.

La symbolique des éléments amène sans doute le discours paradoxal à investir de la sorte ces quatre alexandrins : d’abord s’accroît le désir amoureux associé au feu, puis son assouvissement induit l’isotopie marine. Le texte en vient ainsi à filer à la suite les deux métaphores, et donc à placer les deux isotopies antagonistes dans un rapport de contiguïté et de continuité — ce qui requiert évidemment plus d’espace qu’un oxymore. 

Deux ou trois versets pourront également contenir ces « très longues » séquences :

Voilà que je me surprends à t’adresser la parole,
Mon Dieu, moi qui ne sais encore si tu existes840
Sans parler des oiseaux, des insectes qui sont aussi loin de nous
Dans la paume de nos mains qu’au fond inhumain du ciel841
Et malgré sa taille humaine
Dieu pouvait se pencher sans effort sur les monts et les vallées,
Il était toujours à l’échelle842.

Notes
838.

À la nuit, p. 479.

839.

« À la nuit », p. 474.

840.

« Prière à l’inconnu », La Fable du monde, p. 363.

841.

« Arbres malgré les événements... », La Fable du monde, p. 385.

842.

« Genèse », Oublieuse mémoire, p. 522.