b) En début de strophe ou de paragraphe

Plus fréquemment, le paradoxe se place en tête de strophe, comme si, pour se relancer, le discours poétique avait besoin de se frotter à sa logique et de s’enrichir de ses mystères :

Le monde est devenu fragile
Comme une coupe de cristal,
Les montagnes comme les villes
L’océan même est mis à mal.
Un roc est aussi vulnérable
Qu’une rose sur son rosier
Et le sable tant de fois sable
Doute et redoute sous nos pieds856.

De nombreuses séquences se détachent ainsi en début de strophe :

Feux noirs d’un bastingage857
Nous sommes deux, nous sommes un858
Je vois clair, je vois noir859
Te voilà, petit dieu, cent mille fois mortel860
Vous enchaînez les mots, c’est pour les délivrer861.

Parfois, la strophe est nettement séparée du reste du poème et le paradoxe s’en trouve comme souligné ; la coupure peut être renforcée par un astérisque :

Dans le secret seul gît sa chance
Et une parole de trop
Précipiterait dans les flots
Ce très fragile échafaudage
Qui nous parvient du fond des âges
Et qui nous laisse sans repos
Pour ne pas dire davantage.
*
Dans le grand mutisme des cieux
Sonne un cor très silencieux 862

ou par un changement de mètre :

Et dans le grouillement et l’éclat des fenêtres
Que le soleil levant viole au hasard,
On voit distinctement ainsi que des lézards,
Mille couleurs foncer en flèche et disparaître.
Bonnes batailles pacifiques 863...

Dans les poèmes en prose, également, la séquence paradoxale ouvre plus d’une fois le paragraphe :

‘Bien qu’elle se soit touvée depuis longtemps, Venise se cherche et se cherchera toujours864 ’ ‘C’est dans une image à l’avant-garde de lui-même que le poète éprouve le besoin de fixer son esprit toujours en mouvement865 ’ ‘Le poète fait de la solitude et du mystère même avec les visages les plus aimés, les plus quotidiens866. ’
Notes
856.

« Notre ère », L’Escalier, p. 586.

857.

« Grands yeux dans ce visage... », Le Forçat innocent, p. 245.

858.

« Ainsi parlait je sais bien qui... », Les Amis inconnus, p. 340.

859.

« Le Chaos et la Création », La Fable du monde, p. 352.

860.

« À l’homme », 1939-1945, p. 439.

861.

« À Saint-John Perse », Le Corps tragique, p. 622.

862.

« Le héraut du soleil s’avance... », Le Corps tragique, p. 617.

863.

« L’Arrivée », Poèmes, p. 95.

864.

« Venise », Le Corps tragique, p. 647.

865.

« Chercher sa pensée », Le Corps tragique, p. 653.

866.

Ibid., p. 654.