De même, les dimensions se définissent par un traitement paradoxal des oppositions qui les structurent.
Le temps ne distingue pas entre les époques. Le passé ne s’oppose pas au futur :
le futur n’est pas coupé du présent :
ni surtout le présent du passé :
Depuis longtemps disparu
Je discerne mon sillage1041
Aussi le temps poétique peut-il résulter de la fusion des trois époques :
Signe d’une destruction, la cendre renvoie au passé ; mais ici le vestige dont on s’inquiète aujourd’hui, c’est celui du futur ! L’enjeu est aisément identifiable : il s’agit de récuser toute structure oppositive au profit d’un continuum.
Du reste, les repères qui fondent la chronologie s’inventent de nouvelles relations. Le matin et le soir peuvent coïncider, tout comme les quatre saisons — ou du moins trois d’entre elles :
De même est neutralisée l’opposition maintenant / tout à l’heure lorsque la silhouette de l’arbre debout perdure après l’abattage :
Peu importe, en fait, la durée qui sépare les moments ou les époques, le poème les fera coexister :
C’est que l’opposition proche / lointain est elle aussi invalidée :
tout comme la paire singulier / multiple — puisqu’un fait unique peut constituer à lui tout seul une série :
Il en ira de même pour le couple ponctualité / durée. À une « ‘éternelle naissance’ »1052 répondent des emplois duratifs du verbe mourir :
et l’écume, symbole de fragilité et de fugacité défie le temps :
Par ailleurs, une action présentée comme infinie se donne un objectif ponctuel qui lui fixe une limite :
et l’effacement de cette opposition profite à ceux que le divorce entre temporalité et éternité laisse douloureusement insatisfaits :
Le temps possède une autre caractéristique remarquable : il se laisse parcourir en accéléré :
Il peut même présenter d’audacieuses ellipses : dans La Fable du monde jaillit une forêt de ‘« grands arbres nés centenaires’ » parcourue par des « ‘biches déjà mères’ »1061.
Bref, le poème rejette la linéarité. Il lui arrive d’ailleurs de sillonner le temps dans les deux sens et d’enchaîner des images surgies d’époques différentes :
Ce temps paradoxal a son symbole : l’escalier, auquel trois poèmes et un recueil doivent leur titre. Objet invitant au paradoxe (les dessins d’Escher le montrent bien), il présente la particularité de descendre et de monter simultanément :
En lui les deux termes de l’opposition sont si étroitement liés que parfois la dualité cesse d’être lisible :
Alors ne subsiste, « à hauteur d’homme », que le caractère dévorant du temps, que le paradoxe a aussi pour mission d’exprimer :
« Soir créole », Poèmes, p. 104.
« On voyait bien nos chiens perdus dans les landes... », Les Amis inconnus, p. 310. C’est l’auteur qui souligne.
« Le Spectateur », Les Amis inconnus, p. 323.
« Le Chaos et la Création », La Fable du monde, p. 352.
« S’il n’était pas d’arbres à ma fenêtre... », 1939-1945, p. 434.
« Nuit en moi, nuit au dehors... », La Fable du monde, p. 382.
« L’Enfant et les Escaliers », La Fable du monde, p. 389.
« Chevaux sans cavaliers », La Fable du monde, p. 403.
« Jeunes filles de Jean Giraudoux », 1939-1945, p. 458.
« Madame », Oublieuse mémoire, p. 491.
« Une étoile tire de l’arc », Gravitations, p. 165.
« Le Poids d’une journée », Les Amis inconnus, p. 331.
« Dans la forêt sans heures... », Le Forçat innocent, p. 291.
« Paris », Naissances, p. 554.
« Le Relais », 1939-1945, p. 413.
« La Rêverie », Les Amis inconnus, p. 316.
« Haut ciel », Gravitations, p. 183.
« Un homme à la mer », Gravitations, p. 225.
« Tristesse de Dieu », La Fable du monde, p. 369.
« L’Homme », Oublieuse mémoire, p. 495.
« Tu disparais », 1939-1945, p. 443.
« Le Mort en peine », 1939-1945, p. 447.
« La Mer », Oublieuse mémoire, p. 516.
« Distances », Gravitations, p. 189.
« Du fond des âges », À la nuit, p. 479.
« Le Premier Arbre », p. 359.
« Le Coq », Oublieuse mémoire, p. 511.
« L’Escalier », Oublieuse mémoire, p. 497.
« L’Escalier », L’Escalier, p. 572.
« L’Escalier », Les Amis inconnus, p. 318.