Le soleil et les ténèbres, ou le jour et la nuit, sont souvent associés dans les paradoxes conjonctifs. À l’intérieur de ce champ lexical, des liens très étroits unissent les contraires, comme en témoigne l’attrait exercé par l’obscurité sur la lumière :
Pourquoi cette fascination quasi-fantasmatique ? La nostalgie des origines n’y est sûrement pas étrangère. Car c’est un fait, le jour est issu des ténèbres :
et pour renouer dans l’au-delà avec ce lointain passé, on projette de « ‘se faire un beau jour d’une nuit coriace’ »1124. En somme, l’obscurité reste à la source de la lumière et à en juger d’après ‘« Nocturne en plein jour’ »1125 ou « ‘Visite de la nuit’ »1126 , elle persiste jusqu’en plein midi :
ce qui, on s’en souvient, n’exclut nullement la situation inverse :
Le paradoxe devient plus audacieux encore lorsque la lumière se fait sombre, ou noire : à la « ‘flamme obscure’ » de « ‘47 boulevard Lannes’ »1129 et aux « ‘sombres soleils’ »1130 déjà cités répondent dans « S‘aisir’ » les « ‘Feux noirs d’un bastingage’ »1131 et à la fin de « ‘400 atmosphères’ »,
Inversement, l’obscurité peut présenter les attributs de la lumière. Le noir « éclaire » :
la « noirceur » possède des « candélabres », les ténèbres se font aveuglantes :
et pour faire bonne mesure, un poème reprend à son compte l’oxymore figé par l’usage « nuit blanche »1135. Ainsi s’expliquent à la fois ce conseil :
et ces comportements :
Le texte, constate-t-on, circule en toute liberté entre lumière et obscurité et sa logique va immanquablement le porter à juxtaposer des indices de l’une et de l’autre. Il en résultera des oxymores et autres formules énergiques. Dans Comme des voiliers, le poète évoque les « ‘yeux si noirs et si lumineux’ »1139 de la femme aimée, plus tard il accueillera dans ses vers « ‘un jour étoilé » et « un lunaire soleil’ »1140, puis à l’orée d’Oublieuse mémoire, soleil et lune voisineront dans une double apostrophe1141. Quant au « Hors-venu », on se souvient que son évocation mêle inextricablement les isotopies lumière et obscurité 1142.
« La lampe rêvait tout haut qu’elle était l’obscurité », Les Amis inconnus, p. 329.
« Genèse », Oublieuse mémoire, p. 522.
« Confiance », Naissances, p. 555.
« Sonnet », Oublieuse mémoire, p. 492.
La Fable du monde, p. 373.
Les Amis inconnus, p. 345.
« Visite de la nuit », Les Amis inconnus, p. 345.
« Colonies, ô colonies, ardeurs volantes... », Gravitations, p. 220.
Gravitations, p. 167.
« Confiance », Naissances, p. 555.
« Grands yeux dans ce visage... », Le Forçat innocent, p. 245.
Gravitations, p. 206.
« Une apparition tonnante de corbeaux... », Le Corps tragique, p. 599.
« France », 1939-1945, p. 416.
« Insomnie », Naissances, p. 541.
« Au soleil », Le Corps tragique, p. 625.
« Dans l’oubli de mon corps », La Fable du monde, p. 391.
« Croire sans croire », L’Escalier, p. 584.
« Dans le pré rougi de coquelicots... », Comme des voiliers, p. 24.
« Il est place en ces vers pour un jour étoilé... », 1939-1945, p. 462.
« Pâle soleil d’oubli, lune de la mémoire,
Que draines-tu au fond de tes sourdes contrées ? »
(« Pâle soleil d’oubli, lune de la mémoire... », Oublieuse mémoire, p. 485).
Cf. : « Son corps nu toujours éclairé
Dans les défilés de la nuit
Par un soleil encor violent
Qui venait d’un siècle passé
Par monts et par vaux de lumière
À travers mille obscurités »
(Les Amis inconnus, p. 305).