b) L’axe silence-bruit

Les concordances ne manquent pas entre les domaines visuel et sonore. Ainsi retrouve-t-on dans la structure silence-bruit le même rapport d’interdépendance que dans la précédente :

Mon coeur [...]
[...] du grand bruit de l’espace
Fait naître un silence habité1143.

Ce type de filiation entre deux contraires explique certaines similitudes a priori déconcertantes (on peut parler ici « ‘avec un accent qui ressemble à celui du silence’ »1144) et des persistances non moins paradoxales. Car nous le savons, le silence perdure dans le bruit1145  et à l’inverse, il n’y a aucune incongruité à rechercher un son au coeur du silence1146.

Autre point commun avec la paire obscurité-lumière : les contraires sont enclins à échanger leurs caractéristiques. Le silence devient ainsi perceptible pour une oreille attentive,

Une oreille pour silences et fermée à tous les bruits1147,

et l’énonciateur d’« Observatoire » peut affirmer :

[...] j’entendais votre silence1148.

Ce silence paradoxal sait rester discret, notamment quand il « chantonne »1149 ou « bourdonn[e] »1150, mais il lui arrive aussi de résonner plus sèchement :

Des gestes autour de la table
Prennent le large, gagnent le haut-ciel,
Entrechoquent leurs silences1151,

de « gronde[r] »1152, voire de retentir avec éclat :

Comme il rugit votre silence1153

et même de se faire « assourdissant »1154.

Inversement, un son peut devenir du silence et il en résulte tantôt du mystère :

Dans le grand mutisme des cieux
Sonne un cor très silencieux1155,

tantôt du désordre :

Et ils n’en finissent plus de descendre dans le plus grand tumulte silencieux1156,

voire une profonde dysphorie, comme dans Le Corps tragique, lorsqu’est évoquée une « ‘Silencieuse catastrophe’ »1157.

Ce lien entre silence et bruit est d’ailleurs si étroit que l’un peut remplacer l’autre selon un « mécanisme » que nous avons déjà rencontré : tandis qu’un énoncé sémantiquement contraignant semble commander l’un des termes de la dyade, le texte choisit son contraire :

— Dis donc n’as-tu pas remarqué
Qu’ils font un drôle de silence [...] ?1158
Mais aucun silence ne lui parvenait1159.
Notes
1143.

« C’est la couleuvre du silence... », La Fable du monde, p. 383.

1144.

« Au feu ! », Gravitations, p. 227.

1145.

Cf. : « Alentour naissaient mille bruits

Mais si pleins encore de silence

Que l’oreille croyait ouïr

Le chant de sa propre innocence »

(« Le Matin du monde », Gravitations, p. 171).

« À choisir il nous donne en échange

[...]

Le silence au milieu du tapage »

(« Pour un poète mort », Les Amis inconnus, p. 312).

1146.

Cf. :« Je cherche un point sonore

Dans ton silence clos »

(« La Belle Morte », Gravitations, p. 201).

1147.

« Maladie », 1939-1945, p. 466.

1148.

Gravitations, p. 186.

1149.

« Survivre », Oublieuse mémoire, p. 538.

1150.

« Confusion », Oublieuse mémoire, p. 535.

1151.

« La Table », Gravitations, p. 191.

1152.

« Il est place en ces vers pour un jour étoilé... », 1939-1945, p. 462.

1153.

« Les Nerfs », Oublieuse mémoire, p. 499.

1154.

« Le Portrait », Gravitations, p. 160.

1155.

« Le héraut du soleil s’avance... », Le Corps tragique, p. 617.

1156.

« Guerre et paix sur la terre », Oublieuse mémoire, p. 528.

1157.

« Ô vie où poussent sans effort... », p. 627.

1158.

« Le Galop souterrain », Naissances, p. 557.

1159.

« Visite de la nuit », Les Amis inconnus, p. 345.