D. La patrie et sa capitale

Le destin de la France, précisément, transcende celui de ses habitants. En temps de guerre, le poète s’adresse à elle comme à un être supérieur endurant son calvaire et des accents mystiques1256 lui viennent tout naturellement. Alors les paradoxes permettent de dire la profondeur et la durée d’une souffrance :

Et tu sors d’une nuit qui te brûle les yeux1257,

d’où — conformément à la perspective religieuse qui transforme toute douleur en épreuve — la France sortira forcément grandie :

Tu vas te retrouver profonde et plus altière1258.

Mais ce n’est pas tout : l’amour, la compassion et le respect inspirés par la patrie se traduisent eux aussi par des paradoxes :

France, tu nous bandes les yeux
Nous ne pouvons plus voir que toi.
[...]
Ô prisonnière, ô souveraine1259.

Liée à la France par un rapport synecdochique, sa capitale suscite les mêmes sentiments. Dans Poèmes de la France malheureuse, un texte commence par cette invocation :

Ô Paris, ville ouverte
Ainsi qu’une blessure1260

pour se terminer sur un paradoxe où s’expriment, par-delà la préciosité de surface, un héroïsme et une fidélité de martyr :

S’éteint quelque merveille
Qui préfère mourir
Pour ne pas nous trahir
En demeurant pareille1261.

Ainsi le Paris « de poésie » est-il élevé au rang d’entité supérieure, que l’on invoque et pour qui l’on consent les plus grands sacrifices. Le texte lui confère de surcroît des pouvoirs surnaturels exprimés eux aussi par des paradoxes conjonctifs :

Et c’est Paris qui fait irruption par la croisée
Avec les grandes foulées de Notre-Dame de pierre1262
Paris et son brouhaha de chars mérovingiens, ses carrosses dorés, ses fiacres, ses automobiles de tous les âges1263.
Notes
1256.

Dans les Poèmes de la France malheureuse, de nombreuses formules évoquent en effet une expérience mystique, où la souffrance se mêle au sentiment de partager intimement, physiquement, celle de l’être supérieur auquel on lie son propre sort. Plusieurs expressions renvoient d’ailleurs sans équivoque à la mystique chrétienne :

« France, [...]

Tu nous rends le sang épineux

[...]

Tu nous assoiffes de ta peine »

(« France », 1939-1945, p. 415).

Cf. encore :

« Ô visage sanglant mais combien radieux »

(ibid., p. 416).

1257.

Ibid., p. 416.

1258.

Ibid.

1259.

Ibid., p. 415.

1260.

« Paris », 1939-1945, p. 410.

1261.

Ibid.

1262.

« Paris », Naissances, p. 554.

1263.

Ibid.