Si le paradoxe conjonctif exprime si fréquemment la transcendance, il n’est pas étonnant qu’à travers lui se traduise aussi l’activité par laquelle l’homme ressemble à Dieu : la création, généralement envisagée sous l’angle de la création poétique.
Sans doute la pratique de la poésie entretient-elle une insatisfaction foncière, que le filage paradoxal d’une métaphore de À la nuit exprime bien :
Mais le paradoxe est inscrit au coeur de toute création : ce manque existentiel avivé par l’écriture, seule l’écriture pourra le combler et chaque poème, à sa façon, s’y emploie. De bout en bout, l’oeuvre témoigne de ce pouvoir : dès « Paysages de France », paru en 1919, le poème a pour effet d’apprivoiser la douleur :
Trente ans plus tard, Supervielle s’étonne encore des vertus de l’écriture poétique :
Comme pour témoigner de ce pouvoir apaisant, l’antithèse se fait volontiers paradoxe en estompant les lignes de fracture au profit de la continuité et de la compatibilité ; il suffit alors d’un projet, d’une volonté transformatrice, pour que le rapport d’antinomie se relâche :
‘J’écris pour harmoniser des dissonances intérieures, pour faire taire le tumulte et le désordre de l’inertie. [...] Je vais au-devant de mon obscurité pour en faire de la lumière 1267.’« Ces longues jambes que je vois... », p. 480.
« Denise, écoute-moi, tout sera paysage... », Poèmes, p. 63.
« Le Malade », Naissances, p. 553. Sur le pouvoir du verbe poétique, v. le commentaire de ce poème par Michel Collot : « la fonction de la poésie est de “désarmer” [l]es angoisses, de leur imposer une mesure, particulièrement perceptible dans les [...] derniers vers, où Supervielle reconquiert le rythme de l’alexandrin, dont le “chant” convertit le “désespoir” en une “espérance” paradoxale, éthique et esthétique, plus que métaphysique » (Pléiade, Notes et variantes, p. 985).
Note manuscrite contemporaine du Corps tragique (1959) publiée par Michel Collot dans La matière-émotion, p. 154.