Conclusion

Ainsi faut-il conclure, au moment de situer le paradoxe conjonctif dans la poétique de Supervielle, à une dualité tempérée : par-delà des structures de surface d’une grande diversité, l’ensemble formé par les séquences conjonctives présente en profondeur une forte cohésion qui n’exclut pas les points de convergence avec le principe opposé. Comme à l’accoutumée, la poésie de Supervielle a refusé toute ligne de fracture entre les deux ensembles. En fait, le constat ne change pas, quel que soit le niveau d’analyse : dans l’univers de Supervielle, toute opposition se traduit par une structure bipolaire en continu. Généré par la pratique même du paradoxe, le continuum possède dans le cas présent deux extrémités idéales, la conjonction et la disjonction, entre lesquelles les différentes formules s’inscrivent en des points variables selon la nature et la radicalité de leur teneur paradoxale.

Du reste, il n’est pas interdit d’imaginer que les deux principes disjonctif et conjonctif se trouvent à l’origine de l’articulation évoquée plus haut, entre la multiplicité, très sensible aux niveaux lexical, syntaxique, prosodique, phonétique ou thématique, et la cohésion foncière du système. Selon cette lecture, l’extrême diversité correspondrait aux tendances disséminatrices et l’ancrage très profond de la structure matricielle au principe unitaire. Sous cet angle, en outre, le paradoxe superviellien découvre sa vraie nature : il se révèle une pratique protéiforme inséparable de l’écriture poétique et non une figure structurellement figée et compulsivement répétée, ni même une collection fermée de structures.

Enfin, la grande diversité formelle des paradoxes montre comment le texte échappe au dilemme entre répétition et variété, entre la redite obsessionnelle puissamment signifiante et les exigences rhétoriques de diversité : dans tous les cas le même modèle conjonctif est à l’oeuvre, mais il revêt les formes les plus variées à la surface du texte.