b) Paradoxe et schémas dualistes

En somme, l’atténuation se trouve fréquemment dans la structure duelle du thème ou du motif — ou plus exactement dans la représentation dualiste que nous en avons. C’est ainsi que l’horizon est perçu comme ambivalent parce qu’il se déplace en même temps que l’observateur sans jamais paraître bouger, l’escalier parce qu’il se monte et se descend, la rivière parce qu’elle est à la fois ici et , l’arbre parce que ses racines sont attachées au sol tandis que ses branches se balancent au vent et le port, parce qu’il représente la terre ferme pour le voyageur et le voyage pour le terrien. Or ces différentes représentations à la fois inspirent et « justifient » des paradoxes qui s’en trouvent affaiblis d’autant :

L’horizon déménageait sa fixité hors d’usage1335
Il [l’escalier] s’élève d’un pas si sûr
Qu’en même temps il se descend1336
Tu [la rivière] es la source et l’embouchure1337
Comme il se contorsionne, l’arbre, comme il va dans tous les sens,
Tout en restant immobile1338
Ô toi [Marseille], toujours en partance
Et qui ne peux t’en aller1339.

De même, dans :

Mon sang noircit d’un sombre éclat 1340,

l’audace de l’oxymore est limitée par la double valeur que nous attribuons au sang, symbole traditionnel de la vie et de la mort.

Bref, dès que se manifeste à travers un thème ou un motif le modèle duel, il apporte à la séquence paradoxale une caution culturelle qui, forcément, l’atténue.

Notes
1335.

« Le Gaucho », Débarcadères, p. 130.

1336.

« L’Escalier », Oublieuse mémoire, p. 497.

1337.

« La Seine parle », L’Escalier, p. 580.

1338.

« L’Arbre », Les Amis inconnus, p. 343.

1339.

« Marseille », Débarcadères, p. 141.

1340.

« L’obscurité me désaltère... », La Fable du monde, p. 377.