A. Les titres et les sous-titres

a) Les relations titres / paradoxes

En annonçant le poème, le titre esquisse un horizon d’attente auquel le paradoxe pourra répondre plus ou moins directement. Dans ce cas, celui-ci se lira selon un code prédéfini, en fonction d’un cadre de référence posé au préalable. Prenons l’exemple du « Hors-venu » : même s’il n’annonce pas précisément la simultanéité du jour et de la nuit, la réversibilité du temps ni la fusion des contraires, le titre laisse attendre des repères différents des nôtres et par là il contribue à l’intégration du discours paradoxal qui ouvre le poème :

Il couchait seul dans de grands lits
De hautes herbes et d’orties,
Son corps nu toujours éclairé
Dans les défilés de la nuit
Par un soleil encor violent
Qui venait d’un siècle passé
Par monts et par vaux de lumière
À travers mille obscurités1443.

De même, le titre « Un Braque », qui renvoie à une oeuvre d’art et, à travers elle, à un créateur habitué à bousculer les conventions, laisse supposer que la symbolique traditionnelle des couleurs ne sera pas respectée et implique un code ouvert susceptible, par exemple, d’attribuer au noir une valeur paradoxale :

Les poissons d’un si beau noir
Qu’ils remplacent tout espoir
Par plus de sérénité
Que n’en montre un bel été1444.

Dans un autre registre, c’est encore le cadre de référence qui s’ébauche dans le titre « Le Mirliton magique » et le sous-titre (« ‘Divertissement pour Laurence, ma petite-fille qui vint me voir, pour Noël, dans son berceau’ »)1445 : à coup sûr le texte va se dérouler sur un mode ludique et fantaisiste et dès lors se trouvent indirectement préparés les jeux sur les rapports logiques qui, plus bas, sous-tendront plusieurs paradoxes.

Le titre peut aussi annoncer plus directement la séquence paradoxale. Ainsi, « Confusion » prépare, sous un point de vue il est vrai assez général, le chassé-croisé :

L’église sentait le foin
Et la campagne l’encens1446,

« La Mer proche » préfigure le discours paradoxal qui ouvre le poème :

La mer n’est jamais loin de moi,
Et toujours familière, tendre,
Même au fond des plus sombres bois
À deux pas elle sait m’attendre.
Même en un cirque de montagnes
Et tout enfoncé dans les terres,
Je me retourne et c’est la mer1447,

« La Belle au bois dormant » trouve un écho dans :

Je la reconnais, jouissant de sa claire inexistence1448

et « L’Ange des catacombes » dans :

Tu es un ange dépouillé
Et de boue un peu barbouillé1449.

Enfin, notons que les relations entre le titre et les séquences paradoxales ne sont pas univoques. Si « Alter ego »1450 annonce bien deux voix, rien ne laisse deviner qu’elles seront discordantes et les échanges paradoxaux contenus dans le poème vont influer en retour sur le sens à donner au titre. Après lecture, la locution « alter ego » prend une signification très particulière : contrairement à l’usage, elle ne renvoie plus à l’identité de vues ni à l’harmonie1451, mais à une forme conflictuelle d’altérité. L’accent s’est déplacé de ego sur alter.

Notes
1443.

Les Amis inconnus, p. 305. Il va sans dire que le discours paradoxal, une fois le cadre fourni par le titre, posséde sa propre dynamique : d’abord discret, lorsque les orties introduisent une allotopie dysphorique dans un contexte exprimant un bien-être simple et rustique, il va ensuite crescendo par son jeu sur la structure temporelle et sur l’axe sémantique lumière-obscurité. C’est alors la « fuite en avant » des paradoxes. Loin de se résorber dans le contexte, ils prolifèrent par contiguïté, chaque séquence transmettant à la suivante sa logique fondée sur la non-exclusion des contraires.

1444.

Oublieuse mémoire, p. 504.

1445.

Le Corps tragique, p. 628.

1446.

Oublieuse mémoire, p. 535.

1447.

Oublieuse mémoire, p.. 513.

1448.

Gravitations, p. 179.

1449.

L’Escalier, p. 588.

1450.

Les Amis inconnus, p. 338.

1451.

Cf. les deux sens définis dans le Petit Robert : « personne de confiance qu’on peut charger de tout faire à sa place  » ; « ami inséparable ».