Le titre peut aussi avoir une incidence sur l’intégration des paradoxes par la situation d’énonciation qu’il définit ou suggère, notamment quand il prend la forme d’une dédicace. Le premier poème du premier recueil (Brumes du passé) s’intitule : « À la mémoire de mes parents ». Même s’il n’implique pas le paradoxe inaugural :
le titre apprend au lecteur que l’énonciateur du poème est orphelin ; en d’autres termes, la séquence paradoxale contient une information (« je ne les ai jamais vus ») qui, à proprement parler, ne découle pas du titre-dédicace, mais qui en prolonge l’isotopie par le manque qu’elle exprime sobrement. De même, le titre « À Lautréamont », qui connote la violence et le refus des lois générales, prépare la séquence :
Quant à la formule « À un poète - Pour Orfila Bardisio », elle atténue par le voisinage du nom masculin poète et du prénom féminin ce paradoxe permutatif :
en laissant entendre que chez la dédicataire, le talent poétique et la féminité sont indissociables.
Le titre ou le sous-titre peut également nous renseigner sur l’identité de l’énonciateur, ce qui, le cas échéant, induit une logique étrangère à la nôtre. Ainsi « Dieu pense à l’homme » et, dans « Le Chaos et la Création », le sous-titre « (Dieu parle) » préparent respectivement :
et :
en les inscrivant dans une perspective qui, par nature, se place au-dessus des contradictions. De façon comparable, le titre « Shéhérazade parle »1457 nous transporte dans un univers de croyance qui prête un sens secret aux contes, et l’on s’étonne moins qu’ils passent pour » ‘plus véridiques que l’histoire’ »1458.
P. 3.
Gravitations, p. 222.
Oublieuse mémoire, p. 533.
La Fable du monde, p. 354.
La Fable du monde, p. 351-2.
L’Escalier, p. 578.
Du reste, dans le cadre de la fiction, ils sont en prise sur la réalité la plus immédiate, comme le rappelle Supervielle dans « Les pleins pouvoirs de Shéhérazade » : « Oui, ces récits surnaturels ont une utilité poignante puisque chaque nuit ils sauvent une vie humaine » (Le Corps tragique, p. 650).