Évidemment, le microcontexte va exercer lui aussi une influence déterminante sur les énoncés paradoxaux. Pour réduire le hiatus entre le code du poème et l’organisation logico-sémantique du paradoxe, il dispose de deux stratégies distinctes, qu’il lui arrive de combiner.
D’abord, le microcontexte peut ménager des jalons en amont de la séquence paradoxale. Cela consiste notamment à sélectionner et valoriser préalablement une isotopie. La surprise inhérente au paradoxe s’en trouvera forcément atténuée. Ainsi dans ces versets :
la préactivation de l’isotopie pesanteur (alourdies) assourdit le choc paradoxal entre le substantif (papillons) et son complément (de pierre). Parfois aussi, c’est un mot ou une expression qui « lance » le paradoxe :
On le voit, la rencontre de deux époques impliquée par l’expression « oiseau futur » se trouve à l’origine du discours paradoxal, qui se complexifie à partir d’elle. La séquence peut aussi bien être préparée par une alliance de mots, comme dans ces vers :
où l’énoncé devient paradoxal en développant le schéma disjonctif resté implicite dans « céleste romarin ».
Autre jalon possible : la comparaison. Ainsi, dans ce fragment :
le comparant abrégé, par la réduction qu’il implique, rapproche les deux extrêmes et atténue la brutalité de leur rencontre. Quant au premier de ces vers :
il prépare la séquence paradoxale en faisant référence à un phénomène des plus banals dont l’habitude nous fait oublier l’effet inversant.
Par ailleurs, la séquence paradoxale peut exprimer une conséquence rendue prévisible par le(s) vers précédent(s) :
De même, la première strophe d’un poème du Forçat innocent présente une logique interne qui laisse attendre un énoncé paradoxal :
La peur fait ici oeuvre de mort et de vie, de destruction et de désir après une progression où s’exprime le lien étroit entre désir (attire) et peur (se contracte et meurt) : que l’un se révèle l’envers de l’autre et le paradoxe s’impose pour manifester l’ambivalence du sentiment amoureux dans un contexte de culpabilité. En fait, le paradoxe constitue souvent l’aboutissement d’une progression commencée dans le microcontexte antérieur. Ainsi, l’évocation de l’omniprésence de l’océan rend inévitable la rencontre des éléments antagonistes eau et feu lorsque l’odeur de la mer, s’insinuant partout, pénètre jusqu’au coeur des machines :
De même, le poème « Le » contient une formule :
préparée par toute une série d’interdits sur lesquels renchérit la restriction paradoxale, expression de l’effroi devant « l’innommable »1505.
En tant que formule conclusive, le paradoxe peut aussi tirer la conséquence en termes généraux d’une série de faits concrets énumérés auparavant, comme dans « Tristesse de Dieu » :
En somme, le contexte immédiat introduit une certaine cohérence autour de la séquence paradoxale. Cela se vérifie lorsque le paradoxe s’inscrit dans la dynamique du désir, dont il exprime alors la visée ultime :
Ici, en effet, la motivation, où se mêlent espérance et soif d’apaisement, est si forte que l’accomplissement du désir, en partie traduit par le paradoxe, semble résulter d’une nécessité interne, d’une prédétermination.
Enfin, le microcontexte influence le paradoxe par contiguïté. Il suffit que deux formules se suivent pour que la seconde, mais aussi la première dans le cas d’une lecture non strictement linéaire, soient atténuées par la proximité de l’autre. Ainsi, dans ces deux versets de Débarcadères :
le paradoxe temporel autour de l’alouette est affaibli préalablement par l’éphémère mais très spectaculaire résurrection d’une vague, qu’il estompe en retour en refusant le rôle de repoussoir. On le voit, dès que le code textuel affiche son acceptation du paradoxe, les nouvelles occurrences ne peuvent prétendre à une vigueur extrême. Cela se confirme dans « Chercher sa pensée », où deux séquences paradoxales séparées seulement par deux ou trois lignes voient leur impact réduit par leur proximité :
« Dans la rue », Oublieuse mémoire, p. 518.
« Me faut-il tant de jours pour qu’un jour je délivre... », Oublieuse mémoire, p. 500.
« Apparition », Gravitations, p. 164.
« La Sphère », Débarcadères, p. 136.
« Plein de songe mon corps, plus d’un fanal s’allume... », Les Amis inconnus, p. 325.
« Des deux côtés des Pyrénées », 1939-1945, p. 408.
« Visage qui m’attire en mes secrètes rives... », p. 281.
« Paquebot », Débarcadères, p. 124.
Le Forçat innocent, p. 276.
James Hiddleston, Pléiade, Notes et variantes, p. 802.
La Fable du monde, p. 367.
« Denise, écoute-moi, tout sera paysage... », Poèmes, p. 63.
« Nous sommes là tous deux comme devant la mer... », Débarcadères, p. 132.
Le Corps tragique, p. 652-653.