3. Syllepses et jeux de mots

Plusieurs exemples — dont le dernier — l’ont suggéré, le paradoxe peut s’appuyer sur une syllepse. Ces deux versets le confirment :

Sans parler des oiseaux, des insectes qui sont aussi loin de nous
Dans la paume de nos mains qu’au fond inhumain du ciel1544,

puisque loin y dénote au sens propre la distance physique et au figuré celle qui sépare irréductiblement les espèces. Or, comme l’écrit Bernard Dupriez, « ‘la syllepse est une des formes du jeu de mots’ »1545. En confondant les points de vue, la poésie de Supervielle offre en effet plus d’un exemple du « mot d’esprit » tel que l’analyse A.-J. Greimas dans Sémantique structurale :

‘ [D]eux isotopies sont reliées entre elles par le terme connecteur commun. [...] Le plaisir « spirituel » réside dans la découverte de deux isotopies différentes à l’intérieur d’un récit supposé homogène. 1546

Dans « Les Poèmes de l’humour triste », le poète, s’adressant au mort qu’il sera, se dépeint par avance d’une formule un peu voyante :

Horizontal, sans horizon,
Sans désir et point désirable,
Tu dors enfin d’un sommeil stable1547.
Dans les recueils de l’âge mûr, il n’hésitera pas davantage à jouer très ostensiblement sur la polysémie de certains mots, dont le verbe dire :
Venez-vous m’aider à finir
Avec ce délicat sourire
Qui veut tout dire sans le dire ?1548

et l’adjectif clair :

Le soleil n’a plus rien à nous dire de clair1549.

Bref, le paradoxe fonctionne ici comme le « bon mot » selon Greimas :

‘ [Il] élève au niveau de la conscience les variations des isotopies du discours, variations qu’on fait semblant de camoufler, en même temps, par la présence du terme connecteur.1550
Notes
1544.

« Arbres malgré les événements... », La Fable du monde, p. 385.

1545.

Art. « Syllepse de sens », op. cit., p. 434.

1546.

P. 71. Les exemples qui suivent, tirés de textes discursifs, montrent que l’analyse de Greimas ne s’applique pas qu’au récit.

1547.

« Tu mourus de pansympathie... », Poèmes, p. 75.

1548.

« Madame », Oublieuse mémoire, p. 491.

1549.

« Compagnons du silence, il est temps de partir... », 1939-1945, p. 441.

1550.

Op. cit., p. 71.