Les marqueurs d’atténuation peuvent également se glisser là où on les attendrait le moins : dans la séquence même, où ils se mêlent aux éléments dont ils parasitent le pouvoir expressif.
D’abord, un mot ou un bref syntagme sert parfois de passerelle d’un pôle à l’autre du paradoxe, dont la tension, de ce fait, perd de son acuité. Dans la séquence :
ce rôle est rempli par le complément déterminatif, qui nous plonge dans un espace généralement associé à l’obscurité. Dès lors, la noirceur des phares paraît moins inacceptable. De même, dans :
on a vu que l’adjectif pâle, conjugué à la distribution paradoxale des compléments déterminatifs, adoucit le choc lexical soleil / lune. C’est aussi le cas dans :
où indolence connote un soleil blafard, sans vigueur, ce qui réduit l’écart entre les deux termes de la formule. En somme, on voit que le texte peut enregistrer, reconnaître le rapport paradoxal et par là même l’atténuer en esquissant — ou en établissant clairement — une connexion entre les deux pôles de la séquence. D’autres formules en témoignent, comme celle-ci :
où l’adjectif petit sert de transition entre l’idée de divinité et la condition de mortel, de sorte que la contradiction se relâche en partie. De même, lorsqu’est évoqué
l’épithète réduit singulièrement la tension paradoxale en la rejetant au plan des apparences. De fait, à travers l’adjectif, non seulement le texte reconnaît le rapport paradoxal, mais il montre sa réticence à l’assumer pleinement. Bref, deux logiques ont ici trouvé un compromis. Nous les connaissons : l’une vise à conjoindre les contraires, l’autre à préserver la cohérence du texte.
Enfin, un mot glissé à l’intérieur de la séquence peut en diminuer le caractère paradoxal par son rôle de guidage, par exemple en nous orientant vers une lecture métaphorique :
Pêcher « sur des rives taries » semble en effet une entreprise moins paradoxale dès lors que pêcheur, détourné de son sens premier, s’inscrit dans une métaphore filée.
« 400 atmosphères », Gravitations, p. 206.
« Pâle soleil d’oubli, lune de la mémoire... », Oublieuse mémoire, p. 485.
« L’oubli me pousse et me contourne... », Oublieuse mémoire, p. 489.
« À l’homme », 1939-1945, p. 439.
« Premiers jours du monde », Oublieuse mémoire, p. 524.
« La Quinta », Comme des voiliers, p. 34.