À quoi sert donc le paradoxe dans la poésie de Supervielle ? La grande diversité des enjeux entrevus dans les chapitres précédents peut laisser perplexe. À plusieurs reprises, en effet, l’analyse des séquences a montré incidemment que la figure peut aussi bien jouer un rôle conforme à la tradition rhétorique que remplir des fonctions originales, voire singulières. Devant ce large éventail, nous distinguerons d’abord l’enjeu du conflit entre les règles, nées de l’usage, et le jeu, toujours enclin à les enfreindre, sinon à les renverser. Il conviendra ensuite d’apprécier les fonctions emphatique et intégratrice du paradoxe et surtout sa contribution à la structuration de l’univers poétique. Sa fonction unifiante apparaîtra alors en relation avec les obstacles auxquels elle se heurte, le conflit provoquant d’ailleurs une germination d’énoncés paradoxaux qu’il faudra également interpréter. Mais l’importance relative de ces différents rôles a-t-elle varié au fil des recueils ? Cette question induira un aperçu historique, qui sera suivi de l’analyse des fonctions « transversales » pour lesquelles on ne relève pas de changement significatif d’un recueil à l’autre : d’une part, la contribution du paradoxe à l’engendrement et à l’organisation du texte, d’autre part, sa place dans « le procès de la signifiance »1650.
Julia Kristeva, La Révolution du langage poétique, Éditions du Seuil, 1974, p. 40.