2. Le paradoxe fantaisiste ou humoristique

Pour combattre l’évidence et la monotonie, le poète possède d’autres armes. Dans les chapitres précédents, nous avons rencontré de nombreuses séquences dominées par la fantaisie et l’humour. Ainsi, lorsqu’est évoqué « ‘le calme parfum » du « papier à fleurs’ »1659 ou que l’arbre, s’adressant au taureau et au cheval, dit :

Vos racines volantes
Vous laissent galoper1660,

l’enjeu, avons-nous vu, n’est autre que le sourire. De même, en mêlant les époques, le paradoxe chronologique permet à la fantaisie de se donner libre cours. Il en résulte des rencontres cocasses, que le poète se plaît à évoquer :

Cet animal au très long cou,
Aux pattes basses,
Mal finies,
[...] mange sans ambages un peu de mon présent1661.

Le jeu peut prendre un tour légèrement différent lorsqu’il requiert une certaine virtuosité. En ce cas, plusieurs syllepses l’ont déjà montré, le paradoxe se rattache à la tradition précieuse. Ainsi, quand le sang est présenté comme un aveugle « ‘N’y voyant clair que pour blondes et brunes’ », le lecteur perçoit derrière les appels du désir un certain goût pour l’ingéniosité. Mais ici, une touche de préciosité n’exclut pas le sourire 1662 et la virtuosité sait se mettre au service de l’humour.

Notes
1659.

« Les Fleurs du papier de ta chambre », Le Forçat innocent, p. 289.

1660.

« Premiers jours du monde », La Fable du monde, p. 360.

1661.

« Mais c’est lui », 1939-1945, p. 455.

1662.

On se souvient que Supervielle ne l’a jamais dédaigné, à l’inverse de la plupart de ses contemporains :

« Malheur à nous qui ne savons sourire

Et ne pouvons emprunter qu’au délire »

(« L’Ironie », L’Escalier, p. 579).