4. Le paradoxe et l’expression de la continuité

Dans l’univers poétique, la recherche semble sans fin, entretenue sans doute par une insatisfaction foncière :

Bien qu’elle se soit trouvée depuis longtemps, Venise se cherche et se cherchera toujours »1746.

Dans cette aventure, tenir l’un des deux termes d’une opposition ne saurait suffire, de sorte que l’on se prend à poursuivre au coeur de toute chose son contraire. Le coq de « ‘Comme des voiliers » « dans la nuit [...] cherche au loin le soleil’ »1747, l’énonciateur de « La Belle Morte » déclare :

Je cherche un point sonore
Dans ton silence clos1748

et « Le Mort en peine » :

Je veux de l’éternel faire un peu de présent1749.

Ainsi le paradoxe laisse-t-il entrevoir une unité sous-jacente en même temps qu’il fournit le moyen d’en faire l’expérience. Il pose entre les contraires un rapport de compatibilité, ou plus exactement, de continuité. Soucieux de « ‘tisser des liens avec des mots’ »1750, Supervielle dote ses poèmes d’une ‘« continuité qui semble aplanir les différences, effacer les contradictions ’»1751. L’enjeu semble alors de parcourir l’espace logico-sémantique qui, grâce à sa structure en continu, relie les deux contraires si fermement qu’ils apparaissent comme les avatars d’une même entité.

Notes
1746.

« Venise », Le Corps tragique, p. 647.

1747.

« La nuit, quand l’ombre est de silence et de velours... », p. 35.

1748.

Gravitations, p. 201.

1749.

1939-1945, p. 447.

1750.

Philippe Jaccottet, L’Entretien des Muses, Gallimard, 1968, p. 21.

1751.

Ibid., p. 22.