4. Les relations paradoxales transtextuelles

Les configurations extraséquentielles jouent un rôle, elles aussi, dans la structuration du texte. Par les relations qui les traversent, la section, le recueil et l’oeuvre acquièrent en effet une cohérence dont il est piquant de remarquer qu’elle se construit en partie grâce au paradoxe. Comment cela est-il possible ? La correspondance structurale entre paradoxes linéaires et transtextuels n’y est certainement pas étrangère. Prenons l’exemple du modèle permutatif : « ‘la profondeur peut se trouver en haut [...], on peut tomber en montant. [...] Mais l’inverse est également vrai : c’est-à-dire que la profondeur est aussi une altitude’ », écrit James A. Hiddleston1874, qui relève ici un paradoxe dont les termes se répondent d’un recueil à l’autre. Or ce schéma permutatif se retrouve au niveau de la séquence, comme par exemple dans les vers de 1939-1945 où se répondent « ‘un jour étoilé’ » et « ‘une nuit où tremble un lunaire soleil’ »1875. Que le même pattern se répète ainsi à différents étages de structuration ne peut que renforcer la cohérence de l’architecture d’ensemble. Sans doute est-ce le paradoxe linéaire qui sert d’abord de signal et attire l’attention du lecteur sur les configurations transtextuelles qui lui correspondent thématiquement ou structurellement. Mais il est aussi permis de penser qu’un modèle actif au niveau macrostructural acquiert une légitimité dont vont profiter ses actualisations ponctuelles. Autrement dit, celles-ci revêtiront dans le code textuel une importance accrue du fait même qu’elles font écho à des paradoxes inscrits sur un plan hiérarchiquement supérieur. Tout en renforçant la cohérence globale par leur travail transversal du texte, les configurations transtextuelles auraient donc pour effet de mettre en valeur, mais aussi de justifier les séquences linéaires qui leur correspondent — lesquelles, avons-nous vu, le leur rendent bien.

Ainsi le paradoxe exerce-t-il une influence déterminante sur la production et la structuration du texte. À la source de l’écriture poétique, il préside aussi à son élaboration : susceptible d’apparaître ou, plus fréquemment, de disparaître au cours des réécritures, il s’avère indissociable des différentes étapes de la production poétique et notamment des premiers jets. La perspective génétique montre d’ailleurs que l’histoire du texte est souvent paradoxale : entre deux variantes, la tension peut être extrême, de même qu’entre les principes de création et de sélection. Ainsi le poème apparaît-il à la fois comme le lieu et le résultat d’un phénomène conciliateur : c’est en lui, durant sa genèse, que se résolvent les conflits et sa forme définitive procède de cette résolution. En outre, le paradoxe génère le texte en fournissant la matrice ou bien en ébranlant à sa surface une logique spécifique portée aux répétitions et aux intrications. En tant que pratique transtextuelle, enfin, il apporte au texte, par des jeux d’échos entre les différents niveaux de structuration, une forte cohérence interne.

Notes
1874.

Op. cit., p. 77-78.

1875.

« Il est place en ces vers pour un jour étoilé... », p. 462.