B . CHEMINEMENT DU QUESTIONNEMENT

I . QUESTIONNEMENT ISSU DE LA PRATIQUE

a . Que repÈre-t-on chez ces enfants ?

1 . Le cas C ...

Cet enfant, âgé de 12 ans, a été signalé très tôt dans sa scolarité puisqu'il ne parvenait pas à apprendre à lire et encore moins à se débrouiller en mathématiques.

Nous avons souhaité observer C. au cours de diverses situations scolaires. Nous l'avons confronté à un problème simple. A force d’aides, de temps et de corrections, cet enfant est parvenu à effectuer l'opération permettant de trouver la solution. L'opération consistait en une addition avec retenue ce qui relève d'un niveau de CE1.

Quelle ne fut pas notre surprise de nous apercevoir que, lorsque C. citait le nombre «27», il ne savait pas ce que signifiaient les chiffres 2 et 7. Il allait même jusqu'à nous dire que cela signifiait peut-être 2 + 7. Cet enfant se montre incapable d'identifier le tout «27» grâce à une identification correcte de ses parties et à la coordination de celles-ci. Il n'accorde aucune importance à la position relative occupée par chacun de ces deux chiffres. Sur un principe aussi pauvre d'identification, que peuvent bien signifier les nombres 22, 55555,.... ? On peut se demander ce que cet enfant a compris de la numération, ce qu'il perçoit dans les additions qu'il effectue, ainsi que le sens qu'il peut attribuer à celles-ci.

De même, nous pouvons très vite extrapoler à d'autres domaines. Qu'en est-il d'une éventuelle capacité à comprendre la grammaire ? En effet, comment peut-on dans de telles conditions établir un lien entre un sujet et un verbe, entre un nom, un adjectif et un déterminant... ?

Au-delà de cette incompréhension de la numération, nous voyons bien qu'il ne s'agit pas d'un déficit portant sur un contenu, mais bien sur une structure.

Nous poursuivons donc nos investigations et choisissons de voir la connaissance qu'il a des formes géométriques. Nous lui demandons de parcourir le tour de carrés qu'il repère (alors qu'ils sont imbriqués parmi diverses autres formes) et de noter les quatre lettres placées au niveau de chaque sommet. Nous observons qu'il a des difficultés pour parcourir le contour du carré de façon continue. D'autre part, il hésite en permanence pour savoir s'il fait le tour d'un carré ou d'un rectangle. Nous lui demandons d'effectuer le même type d'exercice pour repérer des rectangles et des triangles. Il parvient à repérer certaines formes, mais de façon non exhaustive car il ne perçoit pas l'existence des formes imbriquées dans un autre réseau de points.

Devant ses multiples hésitations, nous lui demandons de dessiner un carré, un rectangle et un triangle. Voulant répondre à la consigne consistant à dessiner un carré, il se laisse prendre par son tracé et dessine ce qu'il appelle un drapeau, puis un intermédiaire entre un carré et un rectangle qu'il nomme un triangle, puis parvient enfin au bout du troisième essai à dessiner un carré. En ce qui concerne le rectangle, il en dessine un et ajoute qu'il s'est trompé parce que c'est un triangle. Il finit donc par dessiner un triangle à la place d'un rectangle.

La connaissance globale de ces diverses formes semble bien faible puisque, habituellement, celles-ci sont connues en grande section de maternelle, voire en moyenne section.

Nous essayons de voir ensuite si cet enfant est capable d'analyser ces formes, ce qui pourrait l'aider à les reconnaître. Nous lui demandons dans un premier temps ce qu'il relève de «pareil» et de «pas pareil» dans les diverses formes qu'il a repérées. Nous espérons voir, à travers cette question, s'il est capable de comparer le nombre de cotés ou de sommets en opposant les triangles, pour lesquels il a noté trois lettres, aux rectangles et carrés, pour lesquels il a noté quatre lettres. Il n'accède pas du tout à ce niveau de comparaison et en reste à comparer les diverses lettres utilisées pour repérer un sommet.

Comme nous travaillons déjà depuis quelques temps sur ces diverses formes, et que nous avons utilisé une expérience motrice consistant à suivre leur contour, nous lui demandons de se livrer à un jeu qui va nous permettre d'aborde, sous un autre angle, l'analyse qu'il effectue du carré et la composition éventuelle les diverses données qu'il parvient à extraire. Nous lui demandons de nous donner des consignes «au téléphone» pour que nous puissions dessiner un carré. Ce stratagème permet de refuser toutes les consignes du type «tu fais comme ça... ici... ». Nous le laissons voir ce que nous dessinons suite à ses consignes pour qu'il perçoive l'insuffisance de précision de celles-ci.

Voici quelques exemples de consignes :

  • «C'est ‘droit’. »

  • «Une ‘barre’. »

  • «‘Quatre’ barres. » (avec ‘sollicitation’)

  • «Une barre, ‘une’ barre en haut, une barre en bas, une barre en haut. »

  • «Une barre, une barre ‘en’ ‘haut’, une barre en bas, encore une barre à côté de haut».

Nous voyons à travers ces quelques exemples que le vocabulaire est pauvre, peu précis et que les phrases sont mal construites. On n'enregistre aucun mot de liaison permettant de témoigner d'une synthèse des différents éléments. Les notions topologiques sont floues et l'analyse de la forme est très limitée.

Nous pouvons dire en conclusion de ce qui précède que les déficits de cet enfant dans cette activité géométrique sont liés à une incapacité à effectuer une analyse / synthèse.

Ensuite, il est soumis à une reconnaissance d'objets ayant des formes et des couleurs différentes. C. anticipe la question et demande s'il faut compter les formes ce qu'il réussit bien. Il réussit aussi à regrouper les rectangles, les triangles, les carrés et les noirs. Nous lui posons alors une série de questions auxquelles il donne les réponses suivantes :

  • Est-ce que ‘tous’ les triangles sont noirs ?

  • «Non, celui-là n'est pas noir».

  • Est-ce que tous les noirs sont des triangles ?

  • «Non, parce que ‘tous’ n'ont pas la même forme. Ce ne sont pas les mêmes».

  • Est-ce que ‘tous’ les ronds sont noirs ? (Il n'y a aucun rond parmi les formes !)

  • «Non, parce qu'ils sont pas tout à fait les mêmes». Il hésite entre «oui» et «non» mais ne réagit pas face à ‘l'absence’ de ronds.

  • Montre-‘moi’ les noirs.

  • Il les montre.

  • Montre-moi ‘les’ ronds.

  • «Il n'y en a pas.»

  • Est-ce que tous les ronds sont noirs ?

  • Il ne réagit ‘toujours’ pas.

Il semble qu'il ne puisse comprendre la question posée lorsque l'on coordonne plusieurs propriétés. Il est vraisemblablement encore bien loin de pouvoir effectuer une coordination lui-même.

Nous passons ensuite à un repérage sur quadrillage. Ce repérage met en évidence des difficultés à coordonner en pensée, mais bien plus grave à son âge, une coordination motrice laborieuse des deux doigts suivant les lignes et les colonnes.

Suite à cette activité de codage, nous inversons le problème en lui demandant de décoder les positions en cachant à l'aide d'un montage les abscisses et les ordonnées. Face à cette activité qui demande de mettre en oeuvre des capacités d'analyse des diverses coordonnées, nous n'obtenons aucune réussite spontanée, ni mise en oeuvre d'une quelconque stratégie. Ce n'est qu'avec notre aide qu'il parviendra à imiter la stratégie à adopter et qu'il résoudra tout le problème de façon très mécanique.

Nous passons ensuite à un exercice de comparaison de nombres. La tâche proposée consiste à ranger des nombres dans l'ordre décroissant. Là encore, nous pouvons observer que cet enfant n'adopte aucune méthode rigoureuse pour comparer les nombres entre eux. Il va même jusqu'à comparer les chiffres situés à droite dans le nombre et ainsi de suite jusqu'à la gauche. Au cours de cet exercice, nous nous apercevons aussi qu'il est incapable de mémoriser un nombre de quatre chiffres de même qu'il n'avait pas su mémoriser les trois lettres correspondant au sommet d'un triangle. Par la suite, lorsque nous lui demanderons de recopier des nombres, il parviendra à recopier des nombres de deux chiffres avec succès, se trompera parfois pour les nombres à trois chiffres et devra s'y reprendre à plusieurs fois pour des nombres à quatre chiffres.

Nous percevons bien cette absence de mémoire liée au fait que cet enfant ne peut utiliser des structures adéquates pour organiser sa pensée. Il n'a aucune emprise sur ce qui l'entoure et se retrouve en permanence dans des situations qu'il subit.

Lorsque nous lui demandons d'aligner des nombres pour les comparer, il est capable de réussir s'il les regroupe deux par deux, mais dès qu'il y en a plus, il en devient incapable. De plus, comme il différencie mal des notions topologiques telles que «dessus, dessous, à côté», il accole parfois deux nombres distincts sans même s'en apercevoir. Vu ce qui précède, il est bien évidemment incapable d'effectuer une comparaison de deux nombres en coordonnant une comparaison entre les chiffres et entre leurs positions respectives.

Dans tous ces domaines, le même constat ressort : cet enfant est incapable d'identifier la situation et les divers objets de connaissance. Cette absence d'identification est liée à une incapacité à analyser, à effectuer une synthèse, et bien sûr à coordonner l'analyse et la synthèse.