I . Concernant l'identitÉ :

D'après le grand dictionnaire de la psychologie6, «Des objets sont dits «identiques» lorsqu'ils ont en commun toutes leurs propriétés ou lorsqu'il n'y a entre eux aucune différence perceptible».

Une distinction est alors faite entre deux types d’identité :

  • « L'identité logique correspond à l'identité physique dans les limites des capacités discriminatives de celui qui donne un fragment d'identité ».

  • «L'identité catégorielle : des objets sont dits identiques lorsqu'ils sont des exemplaires d'une même catégorie. Perçus différents, ils sont équivalents du fait qu'ils ont en commun certaines propriétés».

D'après le «Vocabulaire Philosophique»7, l'identité est définie par le «caractère de ce qui est identique». Ce sens peut être désigné ordinairement sous le nom «d'identité numérique». C'est aussi le «caractère de deux objets de pensée, distincts dans le temps ou dans l'espace, mais qui présenteraient toutes les mêmes qualités». Ce sens est d'ordinaire désigné sous le nom «d'identité spécifique».

« La non-identité de la limace qui réclame nécessairement la construction de l'identité, cette non-identité est déduite par l'enfant de cinq - six ans, il trouve inutile d'aller regarder si celle qu'il a vu tout à l'heure est encore à la même place. Elle n'a pas pu se déplacer aussi vite que lui. Alors, celle qu'il voit ici et maintenant, dans un autre endroit, est une autre limace. 

Et vous aurez reconnu dans ce dernier exemple la nécessaire construction d'un temps et d'un espace situés sur un continuum : « ‘tout à l'heure et maintenant, un autre endroit et ici’ » sont connus en continuité.

La conservation d'une quantité égale évite de revenir inutilement à la forme initiale donnée à la quantité. La conservation est déduite de la liaison causale établie entre l'état initial et l'état final. » 8 Ainsi, pour identifier le monde qui l'entoure, l'homme doit construire les notions infra-logiques, telles que le temps et l'espace, et les relations logiques qui permettent à chacun d'établir des déductions.

S'appuyant sur l'analyse que Hume fait dans son «traité de la nature humaine »9, Fernando Gil écrit que «l'identité se rapporte en effet à l'existence dans le temps et à la variation (comment déterminer une permanence, à travers et malgré le changement ?) et elle présuppose aussi l'unicité qualitative : le même s'oppose au différent. C'est-à-dire que le même est tendanciellement permanent, stable et non changeant, il est un et non divers. La persistance exprime alors l'identité numérique, un passage à la limite des ressemblances entre les qualités et les états, contractés jusqu'à exclure toute diversité».10 Cette dernière citation permet d'élargir l'appréhension de l'identité en la rattachant à certaines notions telles que la qualité, le nombre, le tout et les parties... Ces diverses notions nous guideront dans notre analyse ultérieure. L'auteur revient à plusieurs reprises sur l'importance du «tout».

‘«Il faut aussi distinguer le tout, pourvu d'une unité interne qui en garantit la stabilité, de la simple collection ou totalité non organisée. L'identité repose sur des principes de cohésion». ’

Quine et P. Geach attribuent la même importance au «tout» mais chacun à sa manière. Pour Quine, il n'y a pas d'entité sans identité : un substrat ne peut se penser sans les propriétés qui le marquent et l'individualisent. Pour P. Geach, il n'y a pas d'identité sans entité : sans support, les propriétés ne peuvent demeurer constantes.

Toutefois, de nombreux auteurs pointent les limites de cette identité. Héraclite se demande si l'on peut affirmer que l'on se baigne dans le même fleuve puisque si l'allure du fleuve reste la même, les molécules d'eau qui sont présentes à l'endroit de la baignade ne sont jamais les mêmes. Ainsi, dire que «‘l'on se baigne dans le même fleuve’» revient à privilégier la continuité spatiale par rapport à la persistance dans le temps des nombreux composants.

De même, comment peut-on parler d'identité corporelle alors que les cellules du corps se renouvellent tous les sept ans ? Cette formulation prend appui sur une conception qui valorise l'unité fonctionnelle et morphologique de l'organisme ou l'unité réflexive de la conscience.

Citons encore un troisième exemple permettant de pointer les limites de ce que nous appelons identité dans le langage courant. Lorsque l'on reconstruit un bateau et que l'on change peu à peu toutes les planches avec lesquelles on reconstruit un autre bateau, quel est le bateau identique au premier, le neuf qui a la même allure ou celui qui est reconstruit avec les vieilles planches ?

Dans le cas du neuf, on privilégie la continuité, l'unité spatiale d'une forme et le maintien d'une fonction. Dans le cas du bateau construit avec les vieilles planches, on privilégie la collection identique de planches et donc la persistance du substrat et l'identité numérique.

‘L'identité a donc un caractère très paradoxal puisqu'elle se construit par confrontation de la similitude et de la différence.’

‘« L'identité est justement l'envers de tout ce qui est donné à l'expérience simple. Si les objets proches ou lointains se présentaient toujours identiques à eux-mêmes, il n'y aurait aucune relation d'identité, aucune permanence à introduire entre leurs aspects successifs. Il s'agirait d'une similitude lue. L'identité de l'arme du crime, l'identité d'un tableau de Vermeer, de même que la non-identité de deux tissus presque identiques, ne sont pas des relations faciles à introduire entre des objets similaires. Il faut beaucoup de temps et parfois des instruments sophistiqués pour reconstruire toutes les actions disparues qu'ont effectivement portées ces objets. Ces exemples ont étés pris à dessein dans l'expérience logique de l'adulte pour souligner que les affirmations d'identité complexes résultent de l'évolution des premières relations appartenant à l'expérience logique de l'enfant : permanence de l'objet, identité de la lune, non-identité des limaces... ».11

Notes
6.

grand dictionnaire de la psychologie (Larousse)

7.

Vocabulaire Philosophique de Lalande

8.

Introduction à J. Piaget, Annie Chalon - Blanc, p. 44

9.

Traité de la nature humaine, Hume, I, IV, sect. 2 et 6 

10.

Encyclopédia Universalia, volume 11, p. 896

11.

Introduction à J. Piaget, Annie Chalon – Blanc, p. 95