II . DEUXIÈME PARTIE : CONTEXTE THÉORIQUE

A . LE CADRE GÉNÉRAL

I . REVUE DE QUESTIONS

a . LE POINT SUR DIVERSES RECHERCHES

Parlant du principe d’identité et du principe de conservation qui en découle, des classifications élémentaires, de la transitivité et de la construction d’un temps et d’un espace continus, Annie Chalon-Blanc note que l’homme ne naît pas avec ses outils mais qu’il doit les construire. Elle insiste sur le fait que ces constructions réclament encore de nombreux éclaircissements.

Le concept d'objet est une représentation qui se construit graduellement durant la période sensori-motrice et qui sera reconstruite, à un niveau plus abstrait, dans les périodes subséquentes. Au cours de son développement cognitif, le système représentationnel de l'enfant extrait quatre propriétés fondamentales des objets.16:

  • leur extériorité, c'est-à-dire leur indépendance par rapport à l'action du sujet et leur appartenance à un univers extérieur à l'organisme ;

  • leur substantialité ou solidité, c'est-à-dire le fait pour l'objet d'être plus qu'un simple tableau perceptif et de posséder une forme et une matière propres ;

  • leur identité, propriété qui permet à l'objet de demeurer le même malgré les changements de position et les diverses transformations spatiales qu'il peut subir

et

  • leur permanence, c'est-à-dire la continuité de l'existence d'un objet, même quand il est inaccessible à la perception et à l'action du sujet.

En principe, ces quatre propriétés invariantes devraient toutes être étudiées également. Dans les faits, à quelques exceptions près17, la permanence est la propriété sur laquelle s'est concentrée en général l'attention des chercheurs. Cela tient en partie à l'importance prédominante que Piaget 18 lui a lui-même accordée et, en partie, à la facilité d'en opérationnaliser la mesure, puisque la construction de la permanence se manifeste par un comportement aisément observable, la recherche d'un objet disparu. Par ailleurs, les quatre propriétés invariantes de l'objet étant interdépendantes, leur construction est concomitante et l'analyse de l'une devient représentative des autres.

D’autre part, en ce qui concerne la microgenèse, au cours d'un colloque ayant pour thème l'épistémologie génétique et l'équilibration, Gréco pose la question suivante à Piaget :

 « ‘Si l'équilibration est un processus biologique et psychogénétique absolument général, doit-on s'attendre à retrouver, en tout apprentissage expressément finalisé par l'expérimentateur aussi bien que dans la résolution de problèmes, une «microgenèse» ayant la même description, les mêmes propriétés que la genèse proprement dite ? ’».19 Piaget répond à cette question en renvoyant à d'éventuelles études ultérieures.

Certains auteurs se sont attachés à l’étude de l’objet, mais en ce qui concerne la genèse des identifications d’objets les informations sont assez faibles.

Brunswick, par exemple, définit la perception de l'objet comme la prise en compte de quelques indices perceptifs permettant d'inférer une identité à un objet. Il utilise la notion d'indice en 1956. Ses travaux seront ensuite réutilisés par Werner et Vurpillot. Son souci est de déterminer à quels indices sont sensibles les enfants et comment, lorsque l'activité devient plus analytique, ces indices sont pris en compte. En 1935, dans ses travaux concernants la prégnance perceptive, il distingue la prégnance géométrique et la prégnance empirique :

  • La prégnance géométrique est explicable par des lois d'organisation physique.

  • La prégnance empirique est caractéristique de bonnes formes significatives qui relèverait de l'expérience acquise.

Vurpillot et Brault mettent en avant des aspects préférentiels de l'objet à partir desquels se fait l'identification de cet objet.

Bruner s'attache à l'aspect fonctionnel. Pour lui, le sujet perçoit l'objet, en extrait des attributs ou indices, puis range cet objet dans une catégorie. Ce rangement se fait suivant un processus actif. La recherche d'indices se répartit en trois temps :

  • enregistrement d'un maximum d'informations (phase syncrétique)

  • sélection d'indices pertinents

  • hiérarchisation d'indices

Il insiste aussi sur le fait que, lors d'une tâche d'identification, le sujet doit identifier les ressemblances au-delà des différences.

Gibson s'attache à la détection d'invariants structuraux. Pour lui, avant d'identifier un objet, il faut établir les ressemblances (ou invariants par rapport à une catégorie) et les différences inter-objets appartenants à une même classe.

Pour Bruner comme pour Gibson, le traitement de l'information s'effectue par rapport à un schème perceptif qui se construit et qui évolue avec le sujet. Par contre, aucun des deux n'apporte de réponse à la question suivante :

‘«Pourquoi existe-t-il des détails qui peuvent devenir des indices ou avoir un statut d'invariants et être alors caractéristiques d'une forme familière ? »’

Les auteurs suivants vont essentiellement s'intéresser aux processus et se regrouper ainsi sous deux avis opposés : l'identité repose soit sur une vision d'ensemble soit sur l'utilisation d'un indice important.

  • Jonckeere (1908) va pencher en faveur du syncrétisme (perception globale). Ceci sera repris plus tard par Wallon.

  • Cramaussel (1924) insiste sur la prédominance des parties sur le tout dans la perception enfantine et sur l'absence de forme globale unissant les détails. L'identité repose sur la présence d'un indice individualisé.

  • Vurpillot (1972) pense que le sujet infère l'existence du tout à partir de la perception d'un élément.

  • L. B. Smith prend l'âge en compte. Plus les sujets vieillissent, plus ils différencient les propriétés, plus ils prennent en compte de dimensions (analyse), plus ils deviennent sélectifs, plus ils articulent les données.

  • Laughery (1969) met en évidence la saillance, c'est-à-dire la plus grande pertinence de certains traits à prendre en compte.

La question se pose de savoir si le processus d'identification d'un objet s'établit de manière privilégiée à un moment du développement par l'intermédiaire d'un schème perceptif de type empirique. Piaget pense qu'au cours de l'enfance, on assiste à une construction de schèmes qui assurent la liaison entre l'image perceptive et la représentation des objets et des formes significatives. Ces schèmes assurent deux fonctions :

  • le regroupement et intégration des indices

  • le filtrage des informations

Cette dernière approche constructiviste semble être celle qui se raproche le plus de nos préoccupations.

Notes
16.

Gouin-Décarie, 1962

17.

ex : Ricard, 1983

18.

1937

19.

Epistémologie génétique et équilibration, p. 75