a . DIFFÉRENTES APPROCHES THÉORIQUES DE LA CONNAISSANCE

L'intérêt pour la nature et l'origine des connaissances n'est pas nouveau ; on peut en retracer les origines jusqu'à l'Antiquité. Les premières approches théoriques de la connaissance ont été abordées par les philosophes, bien avant que les psychologues ne s'y intéressent. Nous évoquerons plusieurs auteurs mais nous insisterons surtout sur deux théories, considérées comme très importantes et, de plus, permettant de situer la conception de J. Piaget dans ce domaine : la théorie empiriste et la théorie rationaliste.

Platon (427 - 347 avant J.-C.) soutenait qu'on ne pouvait pas se fier à la connaissance fournie par les sens parce que « la réalité sensorielle est en changement continuel et la perception est relative à la personne qui perçoit ». Il pensait que les objets tels que nous les percevons ne sont que des copies imparfaites de ces formes, étant donnée la nature changeante de la réalité physique et le caractère relatif de la perception.

Aristote (384 - 322 avant J.-C.) avait opté pour une approche plus naturaliste et accordait la primauté au monde sensoriel et aux images qu'en captent nos sens. Il considérait l'esprit à la naissance comme une « tabula rasa », une tablette vierge sur laquelle l'expérience sensorielle inscrirait les connaissances. C’est cet enracinement ultime de la connaissance dans la réalité directe ou indirecte qui constitue l'empirisme d'Aristote. Mais Aristote n'était pas exclusivement empiriste. Il divisait l'esprit en une section passive, responsable de l'accumulation de connaissances individuelles, et en une section active, capable d'abstraire l'information contenue dans les connaissances individuelles pour en dégager des lois ou des principes universels. Cette conception implique donc que l'esprit contienne des structures capables d'opérations sur les connaissances sensorielles.

Le nativisme de Platon et l'empirisme d'Aristote postulent tous deux l'existence de structures et d'opérations cognitives dont la nature, le développement et le fonctionnement doivent être cernés.

Descartes (1596 - 1650) propose un système nativiste et dualiste fondé sur l'interaction entre le corps et l'esprit. Il sépare clairement l'humain de l'animal, le premier seul étant doué de raison. Mais si l'humain se distingue spirituellement de l'animal, son corps lui fait partager certaines caractéristiques mécaniques avec ce dernier. Descartes propose une théorie des animaux-machines et affirme dans le « Discours de la méthode » que si l'on construisait des machines ayant les mêmes organes et la même figure qu'un singe par exemple, on ne pourrait ensuite plus distinguer la machine de l'animal. Cette théorie est à l'origine d'une attitude qui influencera plus tard les théories scientifiques de l'apprentissage, dont la réflexologie de Pavlov.

Ultérieurement, certains penseurs envisagent la mécanique de l'esprit à travers une position nettement empirique. C'est ce qui aboutira à l'élaboration de la théorie associationniste, l'association étant le mécanisme par lequel l'esprit combinerait certaines connaissances primitives pour parvenir à former des contenus mentaux de plus en plus complexes.

Pour John Locke (1632 - 1704), « l'idée » serait l'unité de base de l'esprit, l'élément fondamental de la connaissance. L'esprit se meublerait avec des idées résultant de sensations (stimulations physiques) et de perceptions (produit mental dérivé de sensations). Cette distinction amène Locke à différencier des qualités primaires et secondaires. Les qualités primaires sont des propriétés des objets (taille, volume, nombre, mouvement) tandis que les qualités secondaires sont produites par la personne qui perçoit et attribuées aux objets (son, couleur, odeur, goût...). Cette notion de qualités secondaires produites par certaines opérations de l'esprit implique encore la présence de structures capables d'effectuer ces opérations.

Revenons sur les théories empiristes et rationalistes pour mettre en évidence leurs divergences.

La théorie empiriste considère que toute connaissance provient de nos perceptions sensorielles. C'est à travers l'expérience sensorielle que les connaissances vont se développer. Certes, cette théorie met en évidence le rôle du milieu dans l'acquisition des connaissances, ce que l'on peut difficilement nier : un enfant ne peut se développer qu'à travers les relations qu'il entretient avec le monde qui l'entoure. Mais toutefois, la conception de l'expérience sensorielle est trop étroite. Elle occupe une centration trop importante, ne laissant aucune place à la construction du sujet. L'expérience ne peut se limiter à une simple réception passive ; elle est une action et une construction progressive.

La théorie rationaliste considère que nos sens sont une source d'erreurs constante en ce qui concerne la connaissance. La véritable connaissance provient de la raison humaine dont le rôle consiste à lutter contre nos perceptions. Seule la raison peut donner à l'homme des vérités et des certitudes, que cette raison est universelle et immuable, c'est-à-dire qu'elle est en tout homme et toujours identique. Le rationaliste René Descartes considère que « ‘la raison est l'instrument de la connaissance qui est capable de bien juger et de discerner le vrai du faux’ ». 25

La raison immuable est dénoncée car elle ne prend pas en compte le déroulement du temps. D'autre part, il existe aussi une part d'erreurs dans la construction de la raison. Enfin, il ne faut pas tomber dans l'excès en supprimant tout ce qui relève de l'expérience sensorielle, ceci revenant à nier les origines de la connaissance.

Kant a essayé de surmonter le problème posé par la contradiction entre les deux théories précédentes en créant une épistémologie faisant une sorte de synthèse : c'est l'a priorisme transcendantal.

‘« Que toute notre connaissance commence avec l'expérience, cela ne soulève aucun doute. En effet, par quoi notre pouvoir de connaître pourrait-il être éveillé et mis en action, si ce n'est par des objets qui frappent nos sens et qui, d'une part, mettent en mouvement notre faculté intellectuelle afin qu'elle compare, lie ou sépare des représentations, et travaille ainsi la matière brute des impressions sensibles pour en tirer une connaissance des objets, celle qu'on nomme l'expérience ? »26

Kant ne considère donc pas que la raison reçoit tout du milieu, mais plutôt qu'elle structure le réel au moyen de formes a priori de la sensibilité et de l'entendement. Par conséquent, il identifie deux composantes dans la connaissance : la matière (c’est-à-dire l'objet) et la forme (c'est-à-dire la manière dont on connaît l'objet).

Les systèmes comme celui de Kant (1724 - 1804) insistent presque exclusivement sur les opérations de l'esprit. En ce sens, ils sont une importante source d'inspiration pour quiconque s'intéresse à la cognition. Selon Kant, les objets ou événements que nous percevons comme se produisant ensemble ne sont pas perçus ainsi parce qu'ils sont étroitement liés dans le temps et dans l'espace (principe associationniste de la contiguïté), mais parce que l'esprit réagit ainsi face à eux.

Les notions d'espace et de temps sont des intentions à priori et ne font pas partie du monde externe objectif. Les objets ne sont pas eux-mêmes liés temporellement ou spatialement, mais ils sont placés selon un ordre temporel ou spatial à cause de ces intuitions. D'autres catégories de compréhension telles que l'unité, la totalité, la réalité, l'existence et la nécessité constitueraient des façons innées de structurer l'expérience.

La conception de la psychologie selon Wundt (1832 - 1920) deviendra plus tard le structuralisme parce qu'elle insiste surtout sur la structure de l'esprit. Dans cette conception, le propos de la psychologie est l'analyse des processus constants et l'établissement de lois régissant l'interconnexion des éléments unitaires. L'unité de base est un ensemble d'idée et de sensations, d'images, de sentiments. Le principe de l'associationnisme demeure.

En ce qui concerne les divers auteurs qui suivent, ils sont tous motivés par le même souhait : énoncer une théorie globale de l'apprentissage qui puisse rendre compte de tous les apprentissages, des plus simples aux plus complexes. Les divers modèles théoriques qu'ils proposent génèrent beaucoup de controverse parce qu'ils rivalisent tous pour le titre de «la théorie de l'apprentissage».

Parmi ces théories, qualifiées de fonctionnalistes, on trouve celle de Darwin (1809 - 1882) sur l'évolution, la réflexologie de Pavlov, le béhaviorisme de Watson, le formalisme de Hull, le néobéhaviorisme de Skinner et une avancée marquée vers le cognitivisme avec Tolman ( 1886 - 1959).

Tolman est certes béhavioriste puisqu'il insiste sur l'étude du comportement observable pour comprendre l'apprentissage, mais il souhaite aussi tenir compte de la nature flexible et adaptative du comportement, ce que ne fait pas le schéma

S → R

L'apprentissage se conçoit comme une acquisition d'informations sur des séquences ordonnées d'événements se produisant de façon régulière dans l'environnement : « ‘Apprendre à faire une réponse donnée R en présence d'un stimulus particulier S1 pour obtenir une conséquence recherchée S2’ ». Il le modélise de la façon suivante :

message URL SCHEM01.gif

A travers ce modèle, des notions telles que la causalité et l'adaptation sont prises en compte.

Notes
25.

R. Descartes, Discours de la méthode, p. 84

26.

E. Kant, Critique de la raison pure, P. U. F., 1950, p. 31