1 . Assimilation

Piaget effectue une distinction entre plusieurs aspects de l'assimilation qui se retrouvent à tous les niveaux du développement :

  1. L'assimilation reproductrice (exercice). Elle correspond à la répétition inlassable d'une action et ceci, parfois même à vide. C'est le cas de l'activité de succion chez le jeune enfant mais aussi de l'activité de dénombrement. Elle assure la conservation du connu, mais aussi la construction de schèmes nouveaux, puisque la répétition engendre la construction de schèmes.

  2. L'assimilation récognitive (discrimination). C'est ce qui conduit l'enfant en présence d'un objet sphérique, à le faire rouler. C'est aussi ce qui lui permet d'assimiler une forme à la catégorie générale comprenant cette forme et de la distinguer d'une autre. Elle marque l'aspect interactionniste de la théorie piagétienne. En effet, la récognition tient compte des caractéristiques du réel pour sélectionner le schème approprié. D'autre part, la récognition comme la reproduction supposent que le nouveau est ramené au connu, donc que le présent est relié au passé. L'assimilation est comprise ici comme une mémoire.

  3. L'assimilation généralisatrice ou transpositive. Elle correspond à l'extension du schème à de nouveaux objets. Elle exprime le caractère exploratoire de l'activité cognitive, elle tend à l'extension continuelle du champ de connaissance et ouvre la voie à la nouveauté.

  4. L'assimilation réciproque. Elle correspond à la coordination de schèmes d'abord exercés séparément sur un même contenu. C'est elle qui joue le rôle le plus important dans le développement des connaissances, car celui-ci est conçu comme la résultante de coordinations nouvelles.

L'assimilation peut être déformante. C'est le cas des explications causales animistes de l'enfant, lorsqu'il dit par exemple : « ‘la lune me suit » ou « le soleil se couche parce qu'il est fatigué’ ». L'enfant assimile les mouvements physiques aux formes d'activités intentionnelles des humains. L'assimilation déformante correspond à un primat de l'assimilation sur l'accommodation. Le sujet ingère sans accommoder et ce défaut d'accommodation entraîne un déséquilibre.

La notion d'assimilation se rattache à la perspective fonctionnelle de la psychologie génétique : celle-ci s'intéresse aux processus des conduites expliquées en termes d'adaptation. Un des intérêts majeurs de la notion d'assimilation est de faire la jonction entre les deux plans d'activité, le niveau biologique et le niveau psychologique. Une continuité fonctionnelle est ainsi assurée entre la vie organique et la vie psychique : à l'alimentation matérielle des organes correspond l'alimentation fonctionnelle des schèmes au plan cognitif. « ‘L'assimilation psychologique en sa forme la plus simple n'est autre chose (...) que la tendance de toute conduite ou de tout état psychique à se conserver et à puiser, dans ce but, son alimentation fonctionnelle dans le milieu extérieur’. »43

La notion d'assimilation met l'accent sur l'activité du sujet dans le processus de connaissance. Connaître, c'est agir sur la réalité ou des données abstraites et les intégrer à ses propres structures mentales. D’ailleurs, le terme d'assimilation est pris au sens large d'une intégration à des structures préalables « ‘L'assimilation ne se réduit (...) pas à une simple identification, mais est construction de structures en même temps qu'incorporation des choses à ces structures’ ».44

La spécificité de ces structures transparaît aussi bien dans les réussites du sujet que dans ses erreurs, révélatrices de ses assimilations déformantes. Il faut souligner l'importance de l'activité assimilatrice dans la connaissance, car c'est elle qui confère une signification aux choses : un objet, par exemple, ne prend un sens défini que grâce à son assimilation à un schème d'action, comme «faire rouler» (pour une boule), « effacer » (pour une gomme) ou son assimilation à une classe, comme ‘« jouet » ou « matériel de bureau ». «  ... Assimiler un objet à un schème revient à conférer à cet objet une ou plusieurs significations et c'est cette attribution de significations qui comporte alors, même lorsqu'elle a lieu par constatation, un système plus ou moins complexe d'inférences. En bref, l'on pourrait donc dire qu'une assimilation est une association accompagnée d'inférence.’ »45

L'idée d'assimilation est très étroitement reliée à celle d'accommodation. Il s'agit de deux pôles, certes opposés mais nécessairement complémentaires de la fonction d'adaptation. Dans la relation entre le sujet et l'objet de connaissance, l'assimilation représente l'action du sujet sur l'objet, tandis que l'accommodation exprime l'action de l'objet sur le sujet. Pour Piaget, les deux mécanismes de l'adaptation sont d'abord indifférenciés : chez le nouveau-né, toute assimilation des choses aux schèmes du sujet s'accompagne d'une accommodation à ces choses. Plus tard les deux mécanismes se différencient, c'est-à-dire que le sujet assimile avec un minimum d’accommodation (dans le cas d'une activité bien rodée et efficace) ou tend à s'accommoder intentionnellement (dans le cas de l'imitation ou d'une activité s'intéressant aux propriétés des objets). L'assimilation et l'accommodation ne représentent pas des actions inverses, mais s'impliquent l'un l'autre.

La notion d'assimilation est également indissociable de celle d'organisation. La fonction d'organisation gère les relations entre les parties et le tout, donc assure la cohérence d'une structure de la connaissance. Quant à l'assimilation, elle assure l'activité de cette structure confrontée au milieu à connaître. Pour Piaget, « ‘l'activité assimilatrice apparaît comme étant à la fois la résultante et la source de l'organisation’ » 46. Une telle conception circulaire peut donner lieu à des contradictions apparentes, l'assimilation apparaissant dans certains passages comme le mécanisme créateur d'organisation et dans d'autres comme son produit.

Notes
43.

J. Piaget, La naissance de l'intelligence chez l'enfant, 1936, p .359

44.

J. Piaget, La naissance de l'intelligence, 1936, p. 364

45.

E. E. G. 5, 1958, p. 59

46.

J. Piaget, La naissance de l'intelligence chez l'enfant, 1936, p. 360