Piaget distingue trois conduites principales quant aux rapports entre les modifications et les compensations : ce sont les conduites alpha, bêta et gamma.
alpha : S'il s'agit d'une petite perturbation voisine du point d'équilibre, la compensation sera obtenue par une simple modification introduite par le sujet en sens inverse de la perturbation en question (...) Par contre, la seconde réaction de type alpha interviendra si la perturbation est plus forte ou jugée implicitement telle par le sujet : en ce cas, il l'annulera en la négligeant sans plus ou en l'écartant simplement ...
Il y a conduite de type alpha lorsque le sujet néglige une donnée (l'amincissement du boudin, par exemple), la nie (en prétendant que le niveau d'eau d'un bocal monte plus lorsque l'objet immergé est lourd que lorsqu'il est léger) ou l'annule par une modification en sens inverse (appuie avec sa main sur la balance pour prouver que la boule pèse plus que le boudin).
Dans le type alpha, la compensation de perturbation est soit négligée (par une sorte de refoulement cognitif), soit annulée par une action ; le système cognitif reste donc inchangé (pas d'équilibration majorante).
bêta : La seconde conduite consistera, au contraire, à intégrer dans le système l'élément perturbateur surgi de l'extérieur, la compensation consistant alors non plus à annuler la perturbation ou à rejeter l'élément nouveau, pour qu'il n'intervienne pas à l'intérieur de l'ensemble déjà structuré, mais à modifier le système par « déplacement d'équilibre » jusqu'à rendre assimilable le fait inattendu.
Une compensation de type bêta est observée quant le sujet modifie ses raisonnements pour tenir compte de l'élément perturbateur. Par exemple, on demande à l'enfant de « mettre ensemble ce qui va bien ensemble » (classification) en lui donnant des jetons de formes et de couleurs différentes. L'enfant se contente de former une seule collection en se fondant uniquement sur les ressemblances. La perturbation survient lorsqu'il prend également en considération les différences (soit les formes et les couleurs différentes des jetons au sein de la même collection). La compensation de type bêta intervient quand l'enfant modifie sa façon de classer (il sépare le jetons en fonction simultanément de leurs différences et ressemblances).
La conduite de type bêta intègre l'élément perturbateur dans le système en le modifiant (par exemple refonte d'une classification, ou modification d'une explication causale). La perturbation perd ainsi son caractère perturbateur grâce à la majoration intervenue. Seule la conduite bêta correspond à une équilibration majorante (ce que Piaget ne signale pas).
gamma : « ‘La conduite de type supérieur consistera alors (ce qui est possible en toutes les situations logico mathématiques et en certaines explications causales bien élaborées) à anticiper les variations possibles, lesquelles perdent en tant que prévisibles et déductibles leur caractère de perturbations et viennent s'insérer dans les transformations virtuelles du système’.»69
La conduite de type gamma consistant à anticiper toutes les variations possibles, ce qui pourrait être perturbateur ne l'est donc plus et le système peut rester tel qu'il est.
On peut résumer le modèle d'équilibration de Piaget de la façon suivante. Des perturbations cognitives provoquent un déséquilibre (cause ou déclencheur de l'équilibration) qui engendre des régulations (moyens par lesquels l'équilibration se réalise). Les régulations visent à compenser les perturbations mais, ce faisant, elles génèrent de nouvelles constructions. Piaget prend grand soin de montrer le lien indissociable entre les compensations et les constructions, phénomènes qui, par définition, ne s'impliquent pas du tout nécessairement.
EEG 33, 1975, p. 71-73